Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/266

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— Soit… mais sauf quelques livres élémentaires pour ma classe, j’ai toujours refusé les offres qu’il m’a faites pour me témoigner sa gratitude… il a cru enfin trouver le moyen de me la prouver. Il joue maintenant un rôle important à Paris. En cherchant un homme intègre et sûr pour remplir auprès de lui un poste de confiance, il m’a écrit et ma proposé d’être son secrétaire intime, acceptant d’avance mes conditions… J’ai refusé…

— Vous avez refusé pour vous, mon ami, mais accepté pour moi…

— Parce que j’ai entrevu là pour toi une position honorable ; j’ai répondu de toi, cœur pour cœur… M. de Saint-Étienne a, je ne sais pourquoi, tant de confiance en moi, que, malgré ta jeunesse, il t’accepte comme secrétaire… à l’essai, il est vrai, mais cet essai pour toi, je ne le redoute pas… Encore une fois, mon enfant, tu le vois, cette condition est inespérée, il faut se hâter de l’accepter.

— Et c’est pour m’assurer ce sort si calme, si heureux, que vous vous résignez à poursuivre votre pénible carrière.

— Si humble, si misérable qu’elle soit, mon enfant, cette carrière est désormais sacrée pour moi… Je le dis sans orgueil, tu l’as vu : malgré tant d’obstacles à surmonter, j’ai souvent obtenu d’heureux résultats… Cette récompense me suffit… Faire d’une génération de pauvres enfants ignorants, déjà presque abrutis par la misère, une génération d’hommes intelligents, honnêtes, instruits et laborieux, cela est beau… cela est grand, vois-tu ? et cela fait prendre en grand dédain ou en grande pitié toutes les indignités dont on m’accable… Maintenant le bien est fait ici… que m’importe leur haine !

Puis Claude Gérard ajouta avec une pénible émotion :

— Ah !… si je n’avais pas d’autres chagrins que ceux dont mes ennemis tâchent de m’accabler…

— Je vous entends, mon ami… cette pauvre folle… que vous alliez à la ville visiter chaque semaine… Maintenant vous allez être bien éloigné d’elle…

Claude Gérard garda longtemps le silence ; ses traits étaient contractés, il semblait pensif, agité ; enfin paraissant faire un grand effort sur lui-même, il me dit :

— J’ai un aveu à te faire… j’ai hésité longtemps… mais si pénible