Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/82

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te sauver d’ici, où l’on te tourmentait sans pitié, mais que tu étais resté pour l’attendre, car, depuis que tu l’avais vue chez son père, tu ne rêvais, tu ne pensais plus qu’à elle… Mais puisqu’elle t’aime ! tu n’auras pas besoin de la battre, n’est-ce pas ?

À ces mots, les traits si mobiles de Bamboche changèrent encore une fois d’expression ; ce n’était plus de la reconnaissance, ce n’était plus de la défiance, ce n’était plus un haineux désespoir qu’on y lisait ; mais une confusion, une honte douloureuse de m’avoir si cruellement méconnu ; singulier mélange de tendresse suppliante et d’indignation contre lui-même. Ce garçon, si indomptable, joignit ses mains, se mit péniblement à genoux sur sa couche, tant il était faible encore, et me dit d’une voix implorante :

— Martin !… mon frère… pardon… aie pitié de moi !…

— Tiens… tais-toi… tu me fais mal, — dis-je en détournant la vue, tant la physionomie de Bamboche trahissait de véritable souffrance. — C’est bien la peine d’être heureux pour tourmenter ainsi les autres, — ajoutai-je en essuyant mes yeux.

— Martin… il faut que tu me pardonnes, — répéta Bamboche avec une anxiété fiévreuse… — il le faut.

— Est-ce que j’ai besoin de te pardonner ?… — m’écriai-je en me jetant dans ses bras, est-ce que tu n’es pas tout pardonné… puisque te voilà heureux et que tu m’appelles ton frère ?

— Oh ! oui, mon frère… mon seul et vrai frère… pour toujours, — murmura Bamboche d’une voix empreinte d’un bonheur ineffable.

 
 
Depuis ce jour, Bamboche et moi nous avons bien vieilli ; nous nous sommes rencontrés dans des positions diverses, contraires, terribles… jamais nous n’avons pu retenir nos larmes en nous rappelant cette scène de notre enfance.
 

Quelques jours après cet entretien, Bamboche fut complétement rétabli.