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de la boutique du marchand de jouets. Cet homme ôta son chapeau et rabaissa le collet de sa redingote.

Je reconnus mon ancien maître… la Levrasse.

Une sorte de frayeur rétrospective me fit un instant frissonner, surtout lorsque j’eus remarqué les profondes cicatrices d’une large brûlure qui s’étendait depuis le bas de la joue jusqu’au front, brûlure sans doute occasionnée par l’incendie de la voiture nomade, allumé par Bamboche. La figure de la Levrasse était toujours imberbe, blafarde et sardonique. Il me parut à peine vieilli ; seulement au lieu de porter ses cheveux à la chinoise, il les portait coupés très-ras et en brosse, ce qui changeait peu l’aspect de sa physionomie ; je ne pus maîtriser une certaine émotion en présentant la lettre de Robert de Mareuil ; mais je ne ressentais pour le bourreau de mon enfance aucune haine personnelle, si cela peut se dire ; c’était un mélange de dégoût, de mépris et d’horreur qui me soulevait le cœur ; j’aurais voulu, par un sentiment d’équité, voir ce misérable livré à toutes les rigueurs des lois ; mais j’aurais cru me souiller en exerçant sur lui de violentes représailles, que ma jeunesse, ma force et ma résolution eussent rendues faciles.

Avant que la boutique fût éclairée, je m’étais tenu à l’écart et dans l’ombre, dans une espèce de renfoncement formé par la baie de la porte de l’arrière-boutique ; la Levrasse n’avait donc pas jusqu’alors remarqué ma présence ; aussi, à ma vue, il recula d’un pas, et dit à la vieille femme d’un air surpris et contrarié :

— D’où diable sort-il ? Il était donc là ? et moi qui, tout-à-l’heure, me croyais en famille.

— Comment ? — reprit la vieille, — vous ne l’avez