Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Triste ressource pour un jeune homme habitué à toutes les minuties, à tous les scrupules d’une toilette recherchée ; mais le temps pressait, les habits de Robert de Mareuil étaient si piètres, si usés, qu’il valait mieux encore pour lui se présenter le jour même à Régina, vêtu au moins convenablement.

Du reste, tels étaient l’extérieur distingué, la bonne grâce et l’élégance naturelle de Robert que, malgré la mode sans doute un peu surannée de ces habits, il paraissait mis avec le meilleur goût. À mon grand étonnement, je vis que mes maîtres ne m’avaient pas oublié : le tailleur tira de son paquet une redingote de livrée bleue à collet rouge et à boutons d’argent, un gilet rouge aussi, une culotte et des guêtres noisettes. Il me fut enjoint de quitter mes humbles vêtements de travail pour endosser cette livrée, à-peu-près faite à ma taille.

J’eus un cruel serrement de cœur en revêtant pour la première fois ces insignes de la domesticité ; un moment même j’hésitai ; mais songeant aux services que je pouvais rendre à Régina dans cette humble condition, et me rappelant cette maxime de Claude Gérard, où j’avais jusqu’alors puisé tant de courage, tant de résignation, — qu’il n’est pas une position dans laquelle l’honnête homme ne puisse faire acte de dignité ; me disant enfin que ma résistance ou mes scrupules à l’endroit de la livrée, pouvaient éveiller des soupçons dans l’esprit de mes maîtres, je ne voulus pas, en m’exposant à être renvoyé par eux, risquer de rompre le fil unique et fragile qui me mettait, pour ainsi dire, en communication avec Régina.