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séparaient en classe aristocratique et en classe bourgeoise ; les valets-de-pied de grande maison, reconnaissables à leur haute taille, aux boutons armoriés de leurs livrées, à la légère couche de poudre qui couvrait leurs cheveux, formaient un groupe très-distinct des laquais de la bourgeoisie, auxquels ils n’adressaient jamais la parole, non par orgueil peut-être, mais par une conséquence de leurs relations sociales, les maîtres fréquentant le même monde, les serviteurs se retrouvaient, chaque soir, ainsi que leurs maîtres, dans un petit nombre de maisons qui avec certaines ambassades (ainsi que je l’appris plus tard) composaient les lieux de réception de la fine fleur de la haute aristocratie parisienne ; les relations de la bourgeoisie étant, au contraire, immensément divisées, ses domestiques, ne se rencontrant pas dans les mêmes centres de réunion, ne formaient point de groupe compacte comme celui des laquais des grands seigneurs.

Ce fut vers ce dernier groupe que je me dirigeai, espérant peut-être apprendre quelque chose sur l’inconnu du cabaret des Trois-Tonneaux que je croyais être le prince de Montbar.

Au bout d’un quart d’heure d’audition (mes camarades étaient loin de parler bas), je fus presque effrayé de ce que je venais d’apprendre sur le grand monde parisien : intrigues amoureuses, scènes de familles, intérêts de fortune, rien ne paraissait ignoré de mes aristocratiques camarades, et encore l’espèce même de leur service les reléguant au vestibule ou derrière la voiture, ne les introduisait pas dans l’incessante et complète intimité du foyer, ainsi qu’il arrive pour les valets-de-chambre.