Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/220

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porté ce sinistre toast de haine aux riches, après avoir été comme nous dédaigneusement repoussée par les petits riches de la forêt de Chantilly ; je me rappelais trop bien quelle joie sauvage avait éclaté sur ses traits jusqu’alors si doux, lorsque, la nuit venue, j’emportai, dans mes bras, Régina évanouie… Non, non, je sentais que dans ce rôle de mauvais génie, l’âme de Basquine, exaspérée sans doute par le malheur, se révélait tout entière sur son visage… La fatalité l’avait faite pour ce rôle… que le hasard lui donnait… L’impression profonde qu’elle produisait sur quelques esprits d’élite, prouvait assez qu’il y avait là autre chose que la reproduction d’un rôle insignifiant par lui-même.

L’apparition de Basquine, son attitude, son geste, sa physionomie puissamment dramatiques ne furent pas d’abord applaudis ; pourquoi ? Je me l’explique maintenant : pour le plus grand nombre des habitués de ce théâtre, Basquine n’était qu’une jolie figurante, un peu maigre et trop pâle. Quant aux rares spectateurs capables d’apprécier sa valeur, ils applaudissaient généralement peu… Je me trompe : Balthazar s’écria :

— Elle est étourdissante… sublime !…

Et il applaudit avec fureur.

Peut-être ces applaudissements auraient-ils eu de l’écho, car souvent rien n’est plus électrique que l’admiration, mais souvent aussi un rien glace l’enthousiasme ; il en fut ainsi cette fois : des ricanements railleurs, des chut réitérés partant de l’avant-scène du vicomte Scipion, paralysèrent l’entraînement que les chaleureux bravos de Balthazar allaient peut-être provoquer ; le poète ne se découragea pas, il recommença d’applaudir