Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/248

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où il y avait un chirurgien. Mais, comme le lendemain dans la matinée nous approchions de ce bourg, des gendarmes rencontrent la voiture, le charretier raconte la chose, on fait mettre le premier appareil sur ma blessure, et l’on me mène à l’hospice de la ville voisine ; on me guérit, et comme je suis bien forcé d’avouer que je n’ai ni asile, ni ressources, on m’envoie finir ma convalescence en prison, comme vagabond.

— En prison ! — m’écriai-je ?

— Oui, — reprit Bamboche, — et j’y suis resté jusqu’à dix-sept ans ; tu conçois que ça m’a achevé, car les mépris, les duretés de la geôle ne vous rendent pas tendre, quand on est déjà coriace, et la société des petits voleurs n’est pas faite pour développer en vous le sens moral. Après cela, il faut être juste, il y a du bon dans la prison ; soyez un tantinet vagabond ou voleur, vous recevez là une éducation que le plus grand nombre des enfants du peuple ne reçoivent jamais : en prison on apprend à lire, à écrire, à compter, un peu de dessin, et un métier si on n’en a pas… on emporte une petite épargne, et souvent même, vois comme cela est encourageant, en sortant, on est placé tout de suite. Cependant, je n’appréciai pas comme je devais les avantages de ma position ; j’ai d’abord voulu me briser la tête contre les murs, et puis, par réflexion, j’ai voulu la briser aux autres, et puis enfin je me suis résigné à ne rien briser du tout, me disant : j’ai treize ans, c’est trois ans à faire ? faisons nos trois ans. Je vais bien t’étonner, Martin, ces trois ans ont passé comme un songe, car une fois que j’ai eu mordu à la lecture, j’ai été possédé de la rage de lire et d’appendre. On obtenait tout de moi,