Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/250

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et l’intelligence ouverte par l’instruction. Avec ça je pouvais crever de misère, comme tant d’autres… mais j’avais du moins une chance ; il était trop tard. La vie de prison m’avait achevé complètement, le travail m’était insupportable, tous mes appétits, comprimés pendant si long-temps, faisaient rage. J’entrai néanmoins chez un maître serrurier ; il avait une sœur, une veuve de trente-six ans, coquette, avenante et riche d’une soixantaine de mille francs. Si je travaillais peu à la boutique, je faisais en revanche le beau parleur, je chantais des chansons joyeuses, souvenirs de notre pître et de la Levrasse, sans compter les grimaces et les tours d’équilibre ; grâce à ces belles séductions, je tournai la tête de la veuve ; un beau jour, je l’enlevai, je jetai ma blouse aux orties et nous vécûmes en riches bourgeois. Ça ne m’empêchait pas de ne songer qu’à Basquine et à toi. Entreprendre un voyage à votre recherche, c’était mon idée fixe, mais il fallait du temps, de l’argent, et la veuve gardait la bourse, tout cela est ignoble. Mon brave Martin, j’aurais pu gagner mes cinquante sous ou trois francs en travaillant comme un nègre, mais j’avais eu jusque-là en prison tant de misère… que ma foi… tiens, ça me coûte de te raconter à toi ces vilenies-là… J’arrive à quelque chose qui te plaira davantage… parce que là… j’ai été à-peu-près bien… Sur ces entrefaites, le hasard me fit rencontrer Basquine… elle avait alors treize ans…

Deux coups frappés assez rudement à la porte de l’appartement interrompirent le récit de Bamboche ; il fit un geste de surprise et d’impatience, alla dans l’antichambre et moi et Basquine, nous entendîmes les paroles