Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/272

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Lorsqu’il me vit rassurée, changeant aussitôt de ton et sans faire la moindre allusion à la manière dont il m’avait fait recueillir sur la grande route, et aux soins que depuis l’on avait eus pour moi, il me dit en affectant le zézaiement d’une prononciation enfantine ; — « Tu m’appelleras Toto, tu me tutoieras, nous allons faire la dînette… Tu as là une bien belle poupée !… Oh ! mais moi aussi j’ai de beaux joujoux… je te les ferai voir, mais faisons d’abord la dînette… »

Et comme je regardais Basquine d’un air stupéfait, pouvant à peine croire ce que j’entendais, elle reprit avec son sourire sardonique :

— Et Toto, duc et pair d’Angleterre, jouissait naturellement dans le monde de toute la considération, de toute l’autorité qu’imposent un grand nom et une fortune immense… de plus, comme il avait daigné représenter son pays dans je ne sais quelle ambassade de cérémonie, deux ou trois souverains l’avaient bardé de leurs plus beaux cordons… Du reste, — ajouta Basquine avec un redoublement d’ironie, — lorsqu’il n’était pas habillé en Toto, milord-duc avait l’air respectable et sévère. Par hasard, je le vis un soir se promener dans sa galerie bras-dessus bras-dessous avec l’archevêque de la ville voisine, car milord-duc était fort bon catholique… et chaque dimanche on disait la messe au château ; le duc, te dis-je, marchait le front haut et fier, portant un grand cordon bleu sur son gilet blanc et une plaque de diamants sur son habit noir… Et vraiment, dans ce grand seigneur… je n’aurais jamais reconnu Toto, avec qui j’avais fait ma première dînette.

— Ah ! si l’on pouvait, pour les voir en dedans,