Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/428

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Anéanti sous ces impressions remplies de charme et de terreur, un moment j’eus peur… ma résolution m’abandonna… j’entrevoyais un avenir de tortures sans nom, que je n’avais pas soupçonnées. Ce beau rêve, de vivre sous le même toit que la princesse, de jouir à chaque instant de la douceur d’une intimité presque forcée par mes relations domestiques… ces transports, à la seule pensée de la voir, de l’entendre chaque jour… ce bonheur ineffable de pouvoir me dire, en parlant d’elle, ma maîtresse, de lui appartenir, en effet, corps et âme… tant de ravissantes visions se dissipèrent du moment où j’envisageai cette réalité : un valet amoureux fou de sa maîtresse… passion insensée à force de honte, de ridicule, de bassesse ; passion irritée, exaspérée à chaque instant par la femme qui la cause à son insu ; car, si réservée qu’on soit, l’on se gêne encore si peu devant son valet !

Et ce n’était pas tout : la moindre émotion trahie, un regard, une rougeur furtive, le plus léger trouble dans ma voix, un tremblement involontaire, pouvaient non-seulement me faire chasser de cette maison avec ignominie, mais je perdais à jamais l’occasion de servir peut-être grandement la princesse ; car j’avais déjà eu, quoiqu’elle l’ignorât, une part d’action assez large, assez salutaire sur la vie de Régina pour espérer encore quelque fruit de mon dévoûment.

En présence d’un tel avenir, mon courage fut encore sur le point de faillir ; puis surmontant ce lâche effroi, songeant aux dernières recommandations du docteur Clément, aux encouragements de Claude Gérard, je résolus de poursuivre ma tâche et de lutter