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cipes… moi qui ai au cœur une sorte d’adoration divine qui m’impose l’observance du bien, j’ai pu m’abaisser à ce point ? Qu’advient-il donc de ceux-là, mon Dieu ! qui, livrés aux hasards de la vie, sans éducation, sans appui, sans foi, sans frein salutaire, se trouvent dans une position pareille à la mienne ?

Et je m’écriai avec Claude Gérard : ― Ô misère ! misère ! seras-tu donc toujours la cause ou la source de tant de maux, de tant de dégradations, de tant de crimes ?

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En attendant la nuit et l’heure de la sortie des spectacles, j’usai toutes les ressources de mon imagination à chercher un moyen de gagner ma vie par des moyens sûrs et honorables ; mais mon esprit s’épuisa dans des combinaisons impossibles.

J’éprouvais une impression étrange, douloureuse, en voyant aller et venir cette foule affairée, qui ne se doutait pas… hélas ! qui ne pouvait pas se douter que ce malheureux, auprès de qui elle passait insoucieuse, ne savait où il gîterait pendant cette sombre nuit d’hiver, et que peut-être le lendemain on le trouverait sur le pavé, à demi-mort de froid et de besoin…

L’incertitude où j’étais de gagner de quoi payer ma nuit dans un garni m’effrayait doublement. Être arrêté nuitamment au milieu des rues comme vagabond, c’était pour moi la prison… et la prison m’inspirait tant d’horreur, que je lui aurais préféré la mort… car la prison me mettait dans l’impossibilité d’être utile à Régina, et je ne sais quel instinct me disait que je pouvais atteindre ce but malgré mon obscure, mon infime condition.