Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/46

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― « Moralement, sainement parlant, faire l’aumône, c’est avilir celui qui la reçoit, tandis que lui procurer du travail, c’est à la fois le secourir et l’honorer ; mais au point où en sont malheureusement les choses, il faut se contenter de l’aumône malgré ses dangers, car elle a au moins un résultat immédiat. Aussi est-il une chose qui devrait entrer dans l’éducation des enfants riches, c’est de savoir, comme point de départ et de comparaison, que, par exemple, avec vingt sous de pain, on peut rigoureusement empêcher dix hommes de mourir de faim. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J’avais attendu l’heure de la sortie du spectacle, assis au pied d’un des arbres du boulevard, dans un coin obscur et opposé à la chaussée sur laquelle s’ouvrait le théâtre. Brisé de fatigue, je sommeillais à demi.

Soudain je me sentis violemment secoué, j’ouvris les yeux, j’étais entouré d’un groupe de gens de mauvaise mine parmi lesquels j’en reconnus plusieurs dont j’avais déjà remarqué la présence ; au même instant, il me sembla voir, à la clarté d’un réverbère, sur la chaussée opposée, passer la figure sinistre et sardonique du cul-de-jatte ; mais cette apparition fut si rapide que je pus à peine y arrêter mes regards, de plus en plus alarmé d’ailleurs par l’attitude menaçante des gens dont je venais d’être subitement enveloppé.

― Que voulez-vous ? ― leur dis-je en me levant pour me mettre en défense.

― Tu es un mouchard ! ― me répondit une voix, ― nous le savons !