Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/61

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Il me fallait bien le reconnaître, le bandit était venu à mon secours, lui ! il m’avait recueilli, il m’offrait pour faire le mal un avenir de bien-être et d’oisiveté. Sans doute, en acceptant, je risquais la prison, mais la misère et la probité ne me conduisaient-elles pas aussi forcément à la prison, ainsi que me l’avait annoncé le magistrat, me disant que faute d’asile, de ressources et de travail, je serais tôt ou tard arrêté et emprisonné comme vagabond ?

— Prison pour prison, autant attendre cette heure fatale dans le bien-être, qu’au milieu des tortures de la misère, — pensai-je en raillant mon sort avec une profonde amertume, déjà aiguisée de ressentiment. — Bamboche avait raison de me vanter la logique du cul-de-jatte… l’expérience me prouve que mon ami d’enfance voyait juste, j’étais un niais, ce bandit possède la véritable science de la vie. Il compte, il est vrai, sans le déshonneur, sans la souillure ; mais une fois jeté au milieu de prisonniers souillés et déshonorés, quelle différence fera-t-on entre eux et moi ?

Le cul-de-jatte m’observait en silence : il crut deviner que ses propositions et que sa théorie cynique commençaient d’ébranler ma résolution ; craignant sans doute de compromettre par une trop brutale insistance l’avantage qu’il supposait avoir acquis sur moi, il me dit :

— Écoute, mon garçon… après tout… on fait mal ce que l’on fait par force… je ne veux pas te mettre, moi, le couteau sur la gorge… et abuser de ta position. Te voilà bien vêtu… ce pain et ce lait te suf-