Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/69

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pas l’aborder… je trouvai facilement un prétexte à un embarras que je ne voulais pas m’avouer, — je voulais revoir encore une fois sa figure, — me disais-je, — afin de juger si ma première impression ne m’avait pas trompée ; — je ralentis ma marche, il se retourna, revint sur ses pas, c’était toujours la même physionomie douce, triste un peu distraite. — Je n’hésiterai plus, — me dis-je, — je sens ma confiance revenue ; je m’approcherai de lui lorsqu’il passera devant le café que surplombe la terrasse ; — mais, cette fois encore, ma résolution, expirant, trouva un nouveau prétexte. — Plusieurs promeneurs s’étaient, — soi-disant, — trouvés entre ce personnage et moi ; puis d’ailleurs l’allée me semblait moins encombrée à son autre extrémité.

Dans l’intervalle que je mis à parcourir cet espace, en réglant ma marche sur celle de mon futur bienfaiteur, je cherchai du regard d’autres physionomies encore plus encourageantes que la sienne. Je n’en rencontrai point. Quelques pas à peine me restaient à faire pour atteindre le bout de l’allée où je me trouvai bientôt presque seul avec celui sur qui reposaient à son insu mes dernières espérances ; je m’armai d’un vouloir énergique, je hâtai ma marche, et m’avançant parallèlement à lui sans qu’il parût m’apercevoir, je balbutiai d’une voix tremblante, étouffée :

— Monsieur…

Soit que la crainte et la confusion eussent rendu ma parole inintelligible, soit que mon futur bienfaiteur fût distrait ou préoccupé, il ne m’entendit pas, et continua lentement sa promenade jusqu’à la fin de l’allée. Rougissant alors de ma faiblesse, je fis un dernier effort sur moi-