Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/82

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« — Vouloir vous tuer, c’est vous déclarer à la fois victime, juge et bourreau, — me disait Claude Gérard, — c’est devant le suprême tribunal de votre conscience, de votre raison, qu’il faut plaider, juger, exécuter votre décision, décision sans appel. Vous ne sauriez donc la méditer avec trop de circonspection, avec trop de gravité, surtout ne prenez aucune résolution avant d’avoir répondu à ces questions en votre âme et conscience :

» — La somme de vos malheurs dépasse-t-elle la somme des forces humaines ?

» — Votre mort sera-t-elle profitable à quelqu’un ?

» — Vous est-il absolument prouvé que votre vie doit être désormais inutile à vos frères ?

» Songez-y bien ! si misérable qu’il soit, l’homme peut encore rendre bien des services à l’homme. S’il est jeune et fort, il peut avoir à défendre un plus faible que lui ; s’il est intelligent et bon, il peut éclairer et améliorer ceux que l’ignorance rend méchants, enfin il n’est pas de petits services comparés à la stérilité du suicide ; lorsque les circonstances ne le rendent pas héroïque, sublime, une vie oisive et stérile est seule comparable à une mort stérile… »

Je n’avais donc pas le droit de me tuer… Ma mort, s’il l’apprenait, affligerait profondément Claude Gérard,… et ma vie aurait pu être utile à Régina.

Aussi, je ne me suicidais pas… je mourais…

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De ce soir-là commença pour moi une sorte d’agonie morale et physique, beaucoup moins douloureuse d’ailleurs que je ne l’aurais crue.