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veloppée en moi depuis que j’avais impérieusement senti le besoin de m’isoler dans mes pensées, dans mes réflexions, dans mes souvenirs, afin d’échapper aux hideuses réalités dont j’étais souvent entouré.

De la réflexion à l’observation, la pente est rapide, et lorsque à ce besoin d’observation se joint surtout un vif sentiment de curiosité,… non pas de curiosité puérile basse, mais je dirais presque de — curiosité philosophique, — si ce mot n’était pas ridicule sous ma plume, on comprendra que je trouvai, dans ma condition de commissionnaire, un vaste champ ouvert à mes études.

Cette fois encore, j’avais pu expérimenter la vérité de cette assertion de Claude Gérard, que : « — dans toutes les conditions de la vie, l’instruction était moralement et matériellement avantageuse ; » les commissionnaires, sachant lire et écrire, étant fort rares, j’eus naturellement la préférence sur mes confrères dans plusieurs circonstances, préférence enviée qu’il me fallut d’abord soutenir à la force du poignet contre mes rivaux illettrés ; heureusement j’étais agile et robuste ; je n’eus pas de désavantage dans ces luttes ! Ma position ainsi énergiquement défendue, fut établie respectée ; plusieurs fois même je pus dans la suite rendre quelques légers services d’écriture ou de lecture à mes anciens ennemis du coin de la rue. Quant à l’humilité de ma condition, j’avais long-temps appris à l’école pratique de Claude Gérard qu’il n’était pas de position dans laquelle un homme ne pût faire acte de dignité.

Je vivais donc au jour le jour, trouvant un certain plaisir, tantôt à tâcher de deviner la nature des missives dont on me chargeait, soit par l’empressement que l’on