Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

front par l’épaisseur de la chevelure, où tremblaient alors quelques brindilles de bruyère rose. De fins sourcils, bruns comme les cils démesurément longs et frisés, qui frangeaient ses paupières, surmontaient les yeux de Bruyère ; ces yeux très-grands étaient d’une couleur bizarre : vert de mer ; selon l’impression du moment, ils devenaient tantôt clairs, brillants comme l’aigue-marine, tantôt d’un vert sombre et limpide, comme celui des flots, toujours transparents malgré leur profondeur. Cette couleur singulière et changeante donnait quelque chose d’extraordinaire au regard de Bruyère, regard déjà singulièrement pensif, et souvent aussi d’une mobilité, d’un éclat extrême.

Ces traits étaient encore remarquables par leur fini précieux, car il régnait une merveilleuse harmonie dans l’ensemble de cette charmante et mignonne créature. Sa beauté rare, rendue un peu étrange par un accoutrement original, sa grâce sauvage, son incroyable adresse pour mille petits ouvrages qu’elle inventait ; son intelligence, étonnamment vive et pénétrante à divers endroits, la surprenante et affectueuse obéissance des animaux dont elle prenait soin, l’espèce de divination ou plutôt de prévision presque immanquable dont elle paraissait douée à propos des choses rurales ; toutes ces excentricités innocentes faisaient passer Bruyère, aux yeux des naïfs habitants de ce pays désert, pour une créature charmée, c’est-à-dire, soumise à l’influence d’un sort jeté sur elle lors de sa naissance ; mais au rebours du commun des habitudes superstitieuses, loin d’inspirer la crainte ou l’éloignement, Bruyère inspirait au contraire des sentiments de vive reconnaissance ou de sym-