Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/274

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Soyez pour les petits enfants comme le bon Dieu pour les petits oiseaux : les vendange faites, ils trouvent encore à picoter, etc. — C’était touchant comme vous voyez, les larmes me viennent aux yeux en y songeant, — ajouta le comte, avec un éclat de rire sardonique. — Six mois après mes essais philanthropiques, la timide indigence, troupe de mendiants avinés, assiégeait journellement mon château, mes fermiers ne me payaient plus. L’humble infortune coupait mes arbres sur pied, et paissait ses vaches dans mes prés, tandis que les petits oiseaux du ciel, sous la figure d’affreux gamins, prenaient mon gibier au lacet et saccageaient mes vignes ; alors je finis par trouver souverainement niais de jouer plus long-temps le rôle du bon Dieu…

De grands éclats de rire accueillirent cette péroraison.

— Je le crois… fichtre bien… à ce prix-là ! — dit l’ancien avoué, qui avait trop dîné. — Le rôle du bon Dieu revient à fort cher.

— Plus on est bon, plus on en abuse ; je l’ai éprouvé en petit comme M. le comte l’a éprouvé en grand, — dit M. Chandavoine d’un air capable.

— Chandavoine, — lui dit tout bas M. Chalumeau, qui commençait à s’inquiéter sérieusement, — tu ne vois pas mon épouse ?

— Mais non, — dit l’autre en haussant les épaules.

— Monsieur le comte a bien raison, — reprit un autre convive ; — c’est à dégoûter de la compassion.

— Ainsi ai-je fait, Messieurs, — reprit le comte, — ces audacieux abus que ma sotte faiblesse encourageait, m’ont ouvert les yeux. Revenu au bon sens, à la