Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/299

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puis long-temps ne l’enivrait plus ; il possédait parfaitement sa raison, il avait toute sa tête, il était seulement ce qu’en argot d’orgie on appelle plein ; chez lui cette plénitude se manifestait d’ordinaire en redoublant encore son dédaigneux sang-froid, son flegme impertinent. Aussi, en attendant que son père prît la parole, il alluma tranquillement son cigare à l’une des bougies du candélabre placé sur la cheminée.

M. Duriveau lui arracha son cigare des mains et le jeta au feu en disant :

— On ne fume pas chez moi, Monsieur.

— Ah bah ! — reprit Scipion en regardant son père avec ébahissement, — et depuis quand ne fume-t-on plus ici ?

— Depuis que je suis résolu de prendre ma place, Monsieur, et de vous mettre à la vôtre, — dit le comte Duriveau d’une voix dure et tranchante.

— Oh ! oh !… — repartit froidement Scipion, habitué à tourner en railleries les rares accès de sévérité de son père, — il paraît que nous allons jouer un peu de Poquelin… je suis Clitandre ou Damis… et voici que tu prends le rôle du bonhomme Orgon ou du bonhomme Géronte. Ce sera-t-il long ? feras-tu mourir ton coquin de fils sous le bâton ? Où donc est Scapin pour me dire : seigneur Damis, au diable votre père ! peste soit du fâcheux vieillard ! Quand ce maudit barbon nous fera-t-il donc ses héritiers ?

Il est impossible d’exprimer avec quel aplomb impertinent ce persiflage fut débité par Scipion.

Quoiqu’il s’attendît à ces sarcasmes dont il s’était