Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/427

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baient lentement du ciel, d’un gris foncé, peut-être resterais-je inaperçu derrière l’énorme tronc d’arbre, derrière lequel je me cachais de mon mieux.

La Levrasse n’était plus qu’à quelques pas de moi, chantant d’une voix de plus en plus éclatante, pour charmer les loisirs du chemin, ces mêmes paroles, que je n’oublierai de ma vie :

La belle Bourbonnaise
A, ne vous en déplaise,
Le cœur chaud comme braise, etc.

Puis, en manière de refrain, le colporteur poussait un éclat de rire aigu en répétant :

Ha, ha, ha, ha, ha.

Ce disant, il grimaçait en manière de répétition, sans doute, toutes sortes de façons de rires grotesques et hideuses, avec de telles contorsions, que pas un des muscles de son visage ne restait en repos ; tantôt il levait si violemment les yeux au ciel, que sa prunelle disparaissait absolument sous ses paupières, tantôt celles-ci se contractaient, et leur rebord apparaissait rouge et sanglant ; tantôt enfin sa bouche énorme s’ouvrant, semblait se fendre jusqu’aux oreilles.

L’accès, ou plutôt la convulsion de gaîté solitaire de cet homme, ses éclats de rire étranges, au lieu de diminuer mon effroi, le comblèrent. Tout-à-coup la Levrasse interrompit ses grimaces et ses chants : il venait de m’apercevoir ; il s’arrêta devant moi, son âne l’imita.

Saisi de terreur, j’eus encore la force de me dresser sur mes genoux, de joindre les mains, et, sans savoir presque ce que je disais, de crier :