Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/431

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— J’aime mieux mourir dans ce bois, être mangé par les loups, que d’aller avec vous ! — m’écriai-je ! les mains jointes en tombant à genoux.

— Et pourquoi as-tu peur de moi ? mon petit Martin, — me dit la Levrasse d’un ton doucereux qui, loin de diminuer ma frayeur, l’augmentait encore, — ne crains rien,… je serai ton protecteur…

— J’aime mieux retourner chez mon maître…

— Il est trop tard,… tu ne le reverras plus, — me dit le colporteur.

Et le colporteur m’enlaça de ses bras noueux, surmonta facilement ma faible résistance, tira une courroie de sa poche, m’attacha solidement les mains derrière le dos et, m’enlevant comme une plume, il m’emporta jusqu’auprès de son âne, écarta le caparaçon qui le couvrait, m’étendit en travers sur ses ballots de marchandises, et me recouvrant avec la toile cirée, il me dit en ricanant :

— Bonsoir, petit Martin, bonsoir.

Puis s’adressant à son âne :

— En route, Lucifer !

Et Lucifer se remit en marche.

Il avait tombé dans la journée une grande quantité de neige ; le bruit des pas de l’âne et de la Levrasse s’amortissait complètement ; saisi de terreur, abandonnant mon corps aux mouvements de la marche de l’âne, je n’entendais de temps en temps, au milieu du profond silence de la nuit, venue bien vite, que la voix claire et perçante de la Levrasse, chantant sa chanson monotone, accompagnée de lazzis :