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AMOUR D’ENFANCE



Mais, malgré moi, sans cesse, une plus chère image
Traversait doucement l’obscure et froide page.
Celle pour qui mon âme explorait ces déserts
Sous leur sable ennuyeux faisait sourdre des vers,
Et les vers jaillissaient, source fraîche et dorée,
Harmonieux miroir de sa grâce adorée ;
Et, néfaste au labeur dont elle était le prix,
Elle effaçait en moi ce que j’avais appris.

Mon brave cœur d’enfant rêvait avec délices
Que d’atroces bourreaux m’infligeaient des supplices
Pour me faire abjurer mon invincible amour.
Ils serraient les écrous : à chaque horrible tour,
Fier, je chantais : « Je l’aime ! » Ils versaient l’eau bouillante :
Je confessais plus haut ma tendresse vaillante.
Mes os craquaient, tant mieux ! J’insultais la douleur !
« Je l’aime ! » De la poix l’infernale chaleur
Dans mes veines courait, je criais : « Je l’adore ! »
Mes yeux en s’éteignant le savaient dire encore.
Mais je rêvais aussi qu’émue elle était là,
Et qu’à ses pieds, mourant, je râlais : « Me voilà,