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ÉPAVES



Je crois toujours ouïr la morte solitaire
Qui, sentant croître l’ombre et s’amasser la terre,
Les conjure d’attendre un peu ;
Près de s’évanouir si douce est la lumière !
Mais la nuit et le sable ont chargé sa paupière,
Au soleil elle a dit adieu.

Elle écoute : elle entend s’éloigner sa famille ;
Ils rentrent au foyer, tes frères : pauvre fille,
Va seule dans l’éternité…
Toute seule, ô terreur ! Ô spectacle qui navre :
Dans l’âme la torture, et dans l’œil du cadavre
Le sommeil vide, illimité.

Car ces êtres jumeaux n’ont plus même fortune :
L’un rend paisiblement à la source commune
Les éléments qu’il avait pris ;
L’autre dans l’infini s’épouvante et frissonne,
Et, veuve du regard, ne reconnaît personne
Au vague empire des esprits.