Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/264

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Et, mendiant l’espace, il va de gauche à droite,
Et revient, le front bas, en frôlant des barreaux.
Il ne connaissait pas dans l’Arabie entière
De si dur ébénier que sa dent n’ait tordu ;
Ces barreaux merveilleux sont faits d’une matière
Où la mâchoire crie avant d’avoir mordu.
Les astres dans leur cours visitaient sa caverne,
Ici fume une lampe. Il est mort à demi,
Jouet épouvanté d’un fantasque ennemi
Dont l’œil, présent ou non, l’environne et le cerne ;
Car il n’est jamais seul : cet œil, cet œil est là.
Son cerveau de lion ne comprend pas cela :
Quand ce tyran divin le regarde, il lui semble
Qu’il est traîné par terre ou cloué, puis il tremble
Comme sous un ciel bas prêt à crouler sur lui.
Le lion vous imite, ô faibles hirondelles
Qui tournoyez dans l’air, ne vous sentant plus d’ailes
Quand le serpent se dresse et que son charme à lui.
Il s’est maintes fois dit : « Si je pouvais lui plaire,
Ne faire qu’en ami toutes ses volontés,
Et, lui léchant le corps, obtenir pour salaire
Un pas de plus à joindre aux pas qu’il m’a comptés ? »
Mais, quand il promenait le long de la poitrine
Sa langue chaude et rude en ouvrant la narine,