Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Leurs prisons cependant au cirque sont roulées,
Affront barbare, abject, qu’ils souffrent tous les soirs.
Où sont-ils ? Tous les yeux de ces têtes foulées
Étincellent sur eux comme des brillants noirs.

Le peuple impatient les acclame en tumulte.
Fils de la solitude, ils baillent éblouis,
Et se couchent. Alors, le rire humain l’insulte ;
a Çà, dompteur, tes lions se sont évanouis ! »

Mais lentement s’élève une rumeur profonde,
On se tait : les railleurs ont senti cette voix ;
Car il n’est pas de bruit plus solennel au monde
Après les grands soupirs de la mer et des bois.

Le dompteur entre. Il parle, il caresse, il ordonne.
Le lion se dérobe en grommelant tout bas,
Puis s’irrite et revêt sa royale personne ;
Son regard fixe et grave a dit : « Je ne veux pas. »
L’homme veut. L’indompté répond trois fois de suite
Dans un muet colloque à faire frissonner :
« Je ne veux pas. »
                         Le tigre, ému, flairant la fuite,
Va, vient.