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les vaines tendresses.

Certes le rire est beau comme la joie est belle,
Quand il est innocent et radieux comme elle !
Vous, les petits enfants, pleins de naïf désir,
Qui des mains écartez vos langes pour saisir
Les brillantes couleurs, ces mensonges des choses,
Vous pouvez, au-devant des drapeaux et des roses,
Vous pour qui tout cela n’est que du rouge encor,
Pousser vos rires frais qui font un bruit d’essor !
Vous pouviez rire aussi, même en un siècle pire,
Vous, nos rudes aïeux qui ne saviez pas lire,
Et ne pouviez connaître, au bout de l’univers,
Tous les forfaits commis et tous les maux soufferts :
Quand avait fui la peste avec les hommes d’armes,
C’était pour vous la fin de l’horreur et des larmes,
Et peut-être, oublieux de ces fléaux lointains,
Vous aviez des soirs gais et d’allègres matins.
Mais nous, du monde entier la plainte nous harcèle :
Nous souffrons chaque jour la peine universelle,
Car sur toute la terre un messager subtil
Relie à tous les maux tous les cœurs par un fil.
Ah ! L’oubli maintenant ne nous est plus possible !
Se peut-on faire une âme à ce point insensible
D’apprendre, sans frémir, de partout à la fois,
Tous les coups du malheur et tous les viols des lois :