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la révolte des fleurs.

Oh ! quel trouble pour vous de ne plus voir, abeilles,
Les fleurs de cette année aux anciennes pareilles !
N’ayant plus, dans les champs, à votre vol rôdeur
Leur éclat pour signal, pour guide leur odeur,
Vous exploriez en vain les prés et les charmilles,
Et l’on vous vit autour des enfants et des filles,
Sur leurs lèvres de rose et leurs cheveux dorés
Quêter l’exquis butin que vous élaborez.
Et vous fîtes aussi cette étrange méprise,
Insectes fins dont l’aile au ciel de Mai s’irise,
Libellules, et vous, papillons bleus ou blancs,
Vous hésitiez, pareils à des baisers tremblants,
Prenant pour un bluet que la rosée inonde,
L’œil humide et naïf de quelque vierge blonde ;
Vous fûtes étonnés vous-mêmes, ô zéphyrs !
D’effleurer des gazons sans perles ni saphirs ;
Vos souffles réclamaient tant d’étoiles éteintes
Et vos molles rumeurs passaient comme des plaintes.
Aurore, dont les yeux, entr’ouverts les premiers,
Allumaient tendrement la blancheur des pommiers,
Comme la pudeur monte à la joue innocente,
Tu cherchas du regard cette blancheur absente,
Et triste d’un réveil sans le bonjour des fleurs,
Sur le champêtre deuil tu parus fondre en pleurs.