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les destins

Ajoutant qu’après tout rien ne vaut quelque effort…

Peut-être le dégoût de cet ignoble sort,
Bien que la vie encor fût du chaos absente,
Soulevait-il déjà la dignité naissante,
Car un profond murmure émut soudain tout l’air,
Et tout le ciel brilla d’un glorieux éclair,
Défi des cœurs futurs à l’éternelle honte !

« Mais cette inerte horreur fait-elle bien mon compte ?
Poursuit l’Esprit du mal, après avoir songé,
Assouvirai-je ainsi la grande soif que j’ai
D’un sang chaud dont jamais ne tarisse le fleuve,
Et de pleurs dont la source incessamment m’abreuve ?
Je veux sentir qu’on souffre, entendre supplier,
Et, devant le martyr tournant un sablier,
Mesurer avec soin le plus long temps que dure
Sur la plus vive chair la plus vive torture.
Oui, je veux allier la rage à la langueur,
Et, loin de les détendre, en les fibres du cœur
Exaspérer la vie afin que je la broie,
Victime plus durable et plus suave proie !
Créons un corps sensible impuissant à mourir,
Et pour ce corps le mal qui fait le plus souffrir ;