Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/120

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Mais devant les écueils que le vrai leur prépare,
Ils esquivent le vide, ils l’ont partout banni ;
La peur d’un sol ardu les jette aux fausses routes.
Aussi ne voient-ils pas qu’ôtant le vide aux corps,
Ils rendent tout massif : les choses ne font toutes
Qu’un seul plein qui ne peut rien émettre au dehors,
Comme un foyer qui lance et chaleur et lumière,
Et prouve qu’il n’est point de compacte matière.
     S’ils pensent que le feu, par quelque autre moyen
Transforme ainsi sa masse, en groupes la resserre,
Sans que nulle partie en lui soit nécessaire,
Il faudra que ce feu tout entier tombe à rien,
Et que tout l’Univers prenne de rien naissance ;
Car tout être changé, qui de ses bornes sort,
Anéantit par là ce qu’il était d’abord.
Si donc rien n’est sauvé de la première essence,
Le monde, tu le vois, rentre dans le néant,
Et du néant renaît tout entier florissant !
     Puisque pour conserver la Nature la même
À tout jamais, il est des corps déterminés
Qui dans leur va-et-vient variant leur système,
Transforment les objets autrement combinés,
Ces corps ne sont donc pas des éléments ignés.
Que feraient en effet leur rupture, leur fuite,
Leur ordre varié, leur changement de lieu,
Si de tous les objets l’essence était de feu ?
Resterait feu toujours toute chose produite !
     Voici le vrai, je crois : il est des éléments
Dont le concours, le jeu, la place, la figure,
Et l’ordre font du feu lui-même la nature,