Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais l’homme à la Nature, où s’opère en silence
Un échange éternel dans une autre balance,
Réclame sans payement un astre de son choix ;
Il croit, demandant compte aux soleils de leurs poids,
Que l’axe autour duquel ils tournent tous, ressemble
Au trébuchet posé sur son genou qui tremble !
Dans la libration de ce grand balancier
Il exige et veut voir l’œuvre d’un justicier ;
Et, le jugeant lui-même, il le rend responsable
D’une cuisson qu’à l’œil lui cause un grain de sable ;
Sans comprendre, aveuglé par son menu chagrin,
Que l’axe eût dû fléchir pour détourner ce grain,
Que l’immense faveur, qu’il eût seul ressentie,
Sur des mondes sans nombre aussitôt répartie,
En désastres sans nombre eût du sévir contre eux.
L’éternité ! pour rendre un éphémère heureux !


Comme un enfant qu’on gâte aisément s’habitue
À croire qu’à ses jeux la déférence est due,
L’homme épargné longtemps croit son bonheur sacré ;
Fait au rythme des lois, il ne leur sait plus gré
De conduire la terre à ses fins sans secousse,
Car il est né depuis que sa planète est douce.
Le branle qui meut tout dans les champs étoilés
Vient s’amortir en elle, et, balançant ses blés,
Ses forêts et ses mers, expire et se compose
Avec un souffle d’air pour incliner la rose ;
Il nous berce avec elle et semble nous choyer ;
Mais pour son équilibre il nous pourrait broyer !