Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je te rends donc ma foi ! Qu’un captieux génie
M’extirpe des aveux que mon instinct renie,
Je ne livrerai plus au peu que je conçois
Tout le vrai que je sens, pour douter que tu sois !
En vain me prouvât-on, contre tes voix intimes,
Que la tombe est la même aux bourreaux qu’aux victimes,
En vain mes appétits, de leurs iniquités
Par le droit au bonheur se diraient acquittés,
On ne croit jamais bien ce qu’on rougit de croire,
Et l’effet sur la vie en demeure illusoire ;
Un témoignage en nous, moins subtil et plus fort,
Donne à la preuve infâme invinciblement tort !


C’est que, formée en nous depuis notre naissance,
Ta nature, ô Justice ! est notre propre essence :
Elles font, l’une et l’autre, un tel couple, en effet,
Que l’homme ne se sent vraiment homme et parfait,
En harmonie entière avec ses destinées,
Qu’en les tenant toujours l’une à l’autre enchaînées,
Et que le juste meurt, sans murmure, pour toi,
Car il mourrait bien plus en violant ta loi.


Le rayon poursuivi me réchauffe et m éclaire !
Je l’ai longtemps cherché ; ma peine a son salaire.
J’ai saisi corps à corps le sphinx impérieux
Qui, l’ongle sur ma gorge et les yeux dans mes yeux.