Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/66

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ce qu’ils voient et touchent. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien dans le monde extérieur qui corresponde à l’étendue subjective et à la solidité ? Nous n’allons point jusque-là : aux rapports de position qui constituent la figure, aux rapports tactiles qui font le volume résistant, correspondent, nous n’en doutons pas, des rapports extérieurs, mais des rapports absolument inimaginables au moyen de l’étendue et de la masse, telles que nous les trouvons dans notre sensibilité. Une représentation quelconque de la matière dans l’esprit est illusoire et exclut nécessairement de l’essence matérielle tout ce qui n’est pas réductible à la figure et à l’inertie, c’est-à-dire tous les attributs de la vie, de la pensée et de la volonté.

Ceux, au contraire, qui se bornent à concevoir l’être extérieur, abstraction faite de toute image, n’ont aucun motif raisonnable de scinder cet être extérieur en deux substances, matière et esprit, plutôt qu’en mille. Ils ne se croient pas autorisés à rattacher les divers ordres de phénomènes à autant de substances distinctes. Ils ne se sentent même pas en état d’affirmer qu’il y ait dans le monde perceptible des substances distinctes, car tout se lie et se tient solidairement dans nos perceptions ; nous ne percevons rien d’isolé, rien qui soit entièrement séparé du reste des choses. La pensée est subordonnée à l’organisme, puisque les affections physiques influent sur elle ; l’organisme n’est pas indépendant de la pensée, puisque toutes les fonctions ne sont pas instinctives, que plusieurs sont mises en train par la volonté, et que les affections morales peuvent modifier la santé. Il suffit que ces relations réciproques soient constatées pour qu’on puisse affirmer l’existence de quelque fond commun à l’organisme et à la pensée.

L’expérience externe, soumise à l’analyse réfléchie, ne nous