Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se donne pour une intuition qui s’affranchit du secours des sens, qui a un autre objet que la matière. La métaphysique leur semble une ambitieuse vanité, parce qu’elle prétend régir la science de l’univers par des concepts absolus, antérieurs, comme lois de la pensée, à la perception, irréductibles aux données sensibles. Ils n’ont aucune raison pour tenter une distinction de substance, la matière leur suffit ; mais ils s’efforcent de réprimer les hautes prétentions de l’esprit métaphysique, puisqu’il faut que l’esprit même s’explique tout entier par la matière.

Ni l’une ni l’autre de ces deux opinions extrêmes sur la nature de l’être ne nous satisfait.

Nous venons de le constater ; on ne sait rien de l’être, par quelque voie quon essaye de le pénétrer ; toute distinction de substances est donc hypothétique et téméraire, faute de données sérieuses. Conclure de l’unité personnelle du moi, révélée par la conscience à une unité substantielle du moi distincte et indépendante, comme font les spiritualistes, c’est analyser incomplètement l’acte de conscience, c’est isoler absolument le moi du reste du monde, c’est, dans tous les cas, prononcer sur ce qu’on ignore.

D’autre part, admettre, comme le font les matérialistes, que les phénomènes moraux sont avec les phénomènes physiques dans un rapport tel que les uns naissent des autres par production, composition ou transformation d’éléments de même substance, c’est affirmer sans preuves. L’expérience nous montre bien que toute modification apportée au corps a son retentissement dans l’état moral du moi, et que réciproquement le corps se ressent de toutes les affections du moi. Mais l’expérience n’a jamais démontré que ces deux unités, le corps et le