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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

presque tout le trafic se faisait par les étrangers, qui enlevaient l’or du royaume et n’y apportaient seulement que des bagatelles[1]. »

Les Gaulois, conquis par les Francs au cinquième siècle, étaient donc redevenus à peu près libres dans leur propre patrie vers la fin du quatorzième siècle. Cette situation ne fit que s’améliorer avec le temps, et il y eut enfin dans la France une véritable nation (les descendants des Gaulois), dominée cependant encore par la noblesse, issue des anciens Francs. À l’époque où Jacques Cartier découvrit le Canada, le régime féodal s’était adouci au point de n’être presque plus reconnaissable. Nous le verrons s’implanter sur les bords du Saint-Laurent, mais transformé au point que les mots : féodalité, seigneurs, cens, rentes, droits de banalité, etc., n’ont plus du tout la signification qu’on leur prête en France. Les écrivains étrangers à notre pays pourront tirer de bons renseignements des citations que nous allons leur mettre sous les yeux, et, s’ils persistent à nous peindre comme des esclaves du régime du moyen-âge, nous ne chercherons plus à les faire sortir de leur ignorance.

Dès 1598, Henri iv donnait au marquis de La Roche le pouvoir « de faire baux des terres de la Nouvelle-France aux gentilshommes, en fiefs, châtellenies, comtés, vicomtés et baronnies, à la charge de tuition et défense du pays, et à telles redevances annuelles dont il jugerait à propos de les charger, mais dont les preneurs seraient exempts pour six années[2]. »

L’entreprise de La Roche n’eut pas de suite.

« Lorsque Richelieu forma la compagnie des Cent-Associés (1627), il lui fit accorder par le roi toute la Nouvelle-France en pleine propriété, seigneurie et justice, avec le pouvoir d’attribuer aux terres inféodées tels titres, honneurs, droits et facultés qu’elle jugerait convenables, et d’ériger même des duchés, marquisats, comtés, vicomtés et baronnies, sauf confirmation par le prince. Elle ne pouvait songer, néanmoins, à couvrir de duchés et de marquisats un pays sans habitants — elle y concéda de simples seigneuries[3]. »

De ce jour date, pratiquement, l’introduction du régime seigneurial parmi nous. Cent trente-deux ans plus tard, à la chute de Québec (1759), il subsistait encore, après avoir noblement facilité la colonisation du pays et créé cet esprit national dont les Habitants se sont toujours montré fiers avec raison.

« Le système suivi par la France, dans la création et le développement de sa colonie, offre un caractère original et unique en son genre dans l’histoire de l’Amérique du Nord. Il contraste d’une manière frappante avec le régime auquel furent soumises les colonies de la Nouvelle-Angleterre. Là fut appliqué, dès l’origine, le système de concessions territoriales en franc-alleu, qui a prévalu dans toute l’étendue de ce continent[4]. »

À partir de 1627, « le système de colonisation consistait non-seulement à distribuer des terres aux émigrants autour de Québec, mais encore à concéder d’immenses étendues de

  1. Vie privée des Français.
  2. Édits et Ordonnances, iii, 9.
  3. Garneau : Histoire du Canada, i, 171.
  4. L’abbé Casgrain : Revue Canadienne, 1875, p. 257.