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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

y avait entre autres six damoiselles[1], des enfants[2] beaux comme le jour ; que messieurs de Repentigny et de la Poterie composaient une grosse famille ; qu’ils étaient en bonne santé — je vous laisse à penser si la joie ne s’empara pas de notre cœur et l’étonnement de notre esprit. Tout cela redoubla par leur présence. Leur grâce, leur entretien nous fit voir la grande différence qu’il y a entre nos Français et nos sauvages. Qui fera maintenant difficulté de passer nos mers, puisque des enfants si tendres, des damoiselles si délicates, des femmes naturellement appréhensives se moquent et se rient de la grandeur de l’océan ?… C’était un sujet où il y avait à louer Dieu, de voir en ces contrées des damoiselles fort délicates, des petits enfants tendrelets, sortir d’une prison de bois, comme le jour sort des ténèbres de la nuit, et jouir, après tout, d’une aussi douce santé, nonobstant toutes les incommodités qu’on reçoit dans ces maisons flottantes, comme si on s’était promené au Cours dans un carosse[3]. ».

M. de Repentigny et sa famille demeurèrent à Québec, et peut-être aussi le sieur de la Poterie, si toutefois il n’alla pas se placer de suite à Portneuf ; on ne le voit pas fixé aux Trois-Rivières avant 1641. Son frère Michel s’y était rendu dès l’été de 1636. Les Le Gardeur et les Le Neuf ont fait honneur au nom canadien pendant une longue série d’années.

« À cette époque (1634-1639), nous dit Charlevoix, le Canada consistait dans le fort de Québec, environné de quelques méchantes maisons et de quelques baraques, deux ou trois cabanes dans l’île de Montréal, autant peut-être à Tadoussac et en quelques autres endroits sur le Saint-Laurent, pour le commerce des pelleteries et la pêche ; enfin un commencement d’habitation à Trois-Rivières. »

« Certes Richelieu a semé sa carrière politique de plus d’un acte odieux, écrit M. Rameau, mais il faut rendre justice à son génie, à la grandeur et à la profondeur des vues qu’il jeta sur l’avenir. De tous les hommes qui ont présidé aux destinées de la France, seul avec Sully et Colbert, il a montré les qualités précieuses et rares d’un homme d’État. La guerre, les finances, le commerce et l’administration intérieure, l’Europe et les colonies, la politique du présent et celle de l’avenir, rien n’échappait à la sollicitude et à l’intelligence de ces véritables grands hommes. Quelle différence avec le cardinal de Fleury, se cantonnant dans les vues étroites d’une économie stérile ; avec M. de Choiseul, sacrifiant les colonies françaises et souriant au mot de Voltaire sur les arpents de neige du Canada ; avec Napoléon lui-même, vendant la Louisiane aux États-Unis, et répondant à ses ministres « qu’il n’était point de ceux dont la politique cherchait à voir de si loin ! »… Le bénéfice même du premier et laborieux établissement de Champlain se trouva complètement perdu pour la colonie. En 1632, il fallut tout recommencer à nouveau ; la compagnie avait avancé sans résultats des sommes considérables dans les premiers envois capturés par les Anglais ; elle se trouvait alors restreinte dans ses moyens d’action, singulièrement refroidie dans son zèle colonisateur, et Richelieu, embarrassé dans les intrigues sans nombre que les débris de la noblesse nouaient

  1. Jeanne Le Marchant, Catherine de Cordé, Marie Favery, M.-Madeleine de Repentigny, Marguerite Le Gardeur et Marie Le Neuf — toutes des adultes.
  2. Anne du Hérisson, Marie de la Poterie, J.-Baptiste de Repentigny et Catherine sa sœur.
  3. Relation de 1636, pp. 3, 12, 42.