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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

n’auraient pas dû oublier que, en les faisant seigneurs du Canada, le roi leur avait imposé l’obligation de « peupler ce pays de naturels français. »

Les pères jésuites étaient persuadés, comme Champlain l’avait été, que pour rendre plus facile la conversion des sauvages, il fallait créer des établissements au moyen desquels on pût les arracher à la vie nomade. Le père Paul Le Jeune se saisit d’une excellente occasion qui se présenta d’exécuter ce projet sur une plus grande échelle que ne le permettait la culture restreinte commencée une douzaine d’années auparavant à la Canardière. Le commandeur de Sillery, l’un des Cent-Associés[1], avait manifesté le désir de fonder un couvent pour l’instruction des filles ; mais le père Le Jeune lui persuada d’établir un asile pour les familles sauvages déjà chrétiennes ou se préparant à le devenir.

Pierre Brulart[2], troisième de son nom, seigneur de Berni, président des enquêtes, descendait d’une ancienne famille de la Savoie établie en Bourgogne et remarquable par sa piété. Il avait épousé, en janvier 1544, Marie Cauchon, dame de Sillery et de Puisieux. Henri iv l’appréciait hautement. Ce digne magistrat mourut le 31 décembre 1584, laissant cinq fils et trois filles. L’aîné, Nicolas Brulart, marquis de Sillery, nommé chancelier de France et de Navarre par Henri iv, en 1607, prit intérêt au Canada, comme on le voit par les écrits de Champlain. Déjà, en 1599, après avoir négocié le divorce du roi, ce dernier avait fait frapper une médaille en son honneur. Sillery mourut dans la charge de conseiller d’État, l’année 1624, âgé de quatre-vingts ans. Le second fils, nommé François, était un esprit cultivé. Henri iv lui donna l’abbaye de Voye-le-Roy. Il fit construire le collège des jésuites à Reims. Étant archidiacre, il refusa l’archévêché de Reims, auquel les vœux du chapitre l’appelaient. Un autre fils de Nicolas Brulart se fit capucin ; il se nommait Jean-Baptiste ; il devint commissaire-général des maisons de son ordre en France. « Trois filles, également d’une grande vertu, dit M. l’abbé Bois, faisaient la consolation de la famille Brulart. L’une, Catherine, se consacra à la vie religieuse et gouverna assez longtemps la célébre abbaye de Longchamp, près Paris. La seconde voulut être la fondatrice des religieuses hospitalières (de l’ordre de Saint-Augustin) de la place Royale, de cette même ville, et employa à cette fin la somme de vingt mille écus. La troisième épousa Laurent Cauchon, seigneur de Trélon, qui exerça successivement divers emplois honorables dans l’administration de la justice. »

Le plus jeune enfant de Nicolas Brulart est celui qui nous intéresse davantage. Il était né à Paris le 25 décembre 1577, circonstance qui lui valut le nom de Noël. À l’âge de dix-huit ans, son père l’envoya dans l’île de Malte, où il servit douze ans. S’étant distingué dans plusieurs rencontres, on lui accorda la commanderie de Troyes, qui rapportait alors quarante mille livres annuellement. Il parut à la cour en 1607 et y fut de suite remarqué par ses manières et le faste dont il s’entourait. Le chevalier de Sillery, jeune, élégant, riche, instruit,

  1. C’était M. de Razilli qui l’avait intéressé au Canada et fait entrer dans la compagnie des Cent-Associés. (Garneau ; Histoire du Canada, i, 132.)
  2. Voir la brochure de M. l’abbé Bois : Le Chevalier de Sillery.