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arrivé à un touriste anglais qui avait voulu chausser la raquette ? Le pauvre homme n’avait réussi qu’à se geler les pieds, et par conséquent, raconte son biographe, quand on le débotta, ses orteils se cassèrent comme du verre ! Il faut être gradué de plusieurs sociétés savantes pour expliquer ce phénomène.

Et puis, l’eau gelée qui coule ! Il paraît que l’eau d’un ruisseau ou d’une rivière gèle et continue sa marche comme si de rien n’était. C’est imprimé, en Angleterre.

Partout dans le monde, on trouve des gens que la fièvre travaille ; que les insectes et les bestioles de toutes formes incommodent ; que les émanations putrides de la contrée autour d’eux gênent horriblement, mais qui y sont accoutumés. Ces mêmes personnes ne sauraient se faire à l’idée du froid. Pourtant, il faut savoir ce que c’est que le froid. Mieux vaut une température qui pince la peau qu’une atmosphère chargée de miasmes. Mieux vaut encore un climat qui rend l’homme robuste et confiant en lui-même, que ces chaleurs dont le résultat est la détente des nerfs, l’amollissement et la paresse. Quand on connait la valeur du froid, il n’est plus question de revoir, autrement qu’en passant, les orangers en fleurs et les cannes à sucre des pays soi-disant « favorisés ».

On peut lutter contre le froid. Il y a le vêtement, la voiture, le poêle. Allez donc lutter contre la chaleur, surtout contre les maladies particulières aux pays chauds !

Lutter contre le froid, dit l’Européen, ce n’est pas si gai ! Le frisson, le rhume, l’engourdissement — vous en parlez à votre aise !

Pardon, en Canada, quand on a froid, on se chauffe. Une livre pesant de bois ne suffit pas à nous contenter ; nous prenons une belle flambée, un feu à ravigoter les paralytiques, et la maison est aussi chaude qu’en juillet. Au dehors, le froid est intense si vous voulez, mais nous nous en moquons. Les moyens de le combattre abondent. Vous ne verrez pas chez nous de gens qui « subissent » un froid d’hiver ou un temps humide : ici, on le « combat ». On allume le poêle. La chaleur tient tout le monde en mouvement. Partout la vie et l’animation se manifestent. On se croirait sous le soleil de messidor !

Si nos intérieurs n’étaient pas, en hiver comme en été, d’agréables retraites où le corps et l’esprit se complaisent, comment expliquerions-nous la gaîté des Canadiens ? Les Esquimaux ont-ils de ces allures ?

Un journaliste anglais raisonnable, de retour du Canada, écrivait dans une revue d’Angleterre pour réfuter les articles de ses collègues, où les Canadiens et le Canada étaient décrits d’après la méthode de fantaisie dont nous nous plaignons : « Quant au climat, je puis vous dire que la plus mauvaise profession en Canada est la médecine ; car les Canadiens ne sont jamais malades avant l’heure de leur mort. Leur pays est l’un des plus salubres qui existent. Le froid ne se fait pas sentir autant en Canada qu’en Angleterre, et quand le thermomètre descend à 30° au-dessous de zéro, on ne ressent pas là le froid dont nous souffrons ici, par suite de l’humidité de notre atmosphère. »

Disons aussi qu’un froid de trente degrés est une bagatelle. Son influence est nulle. On le brave en habit ouvert. Il ne devient piquant, incommode, froid, en un mot, que lorsqu’un