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taille, tel est notre portrait. Cela est si vrai que, lorsqu’il s’est agi de construire le Grand-Tronc, nous n’avons pu fournir que des hommes en état de travailler par demi-journées ! Des créoles créolisant ! Il faut mettre ici, lecteur, quinze points d’exclamation.

Que deviennent donc nos habitants, nos voyageurs, nos coureurs de bois ? L’histoire du Canada se refait en Europe sur un modèle étrange !

S’il est un endroit au monde où l’on mange copieusement, et d’excellentes viandes, c’est ici. Cette abondance date de plus de deux siècles. En nous comparant, du haut en bas de l’échelle, avec les populations de l’Europe, nous l’emportons de cinquante par cent, sinon davantage, sous ce rapport.

Pour la force musculaire, la vitalité, la somme de résistance à la fatigue, nous dépassons la mesure ordinaire.

Dans toutes nos luttes où la vigueur physique a dû se manifester, nous avons éclipsé les hommes des autres origines.

Nous étions, il y a un siècle, soixante et dix mille âmes. Nous sommes maintenant un million et demi : vingt-cinq fois plus !… sans avoir reçu de secours du dehors. Des familles de quinze, vingt et vingt-cinq enfants se rencontrent dans toutes nos paroisses — le vingt-sixième, on le donne au curé, qui l’adopte et le fait instruire. Charlevoix écrivait, il y a cent cinquante ans : « Dieu répand sur les mariages, dans ce pays, la bénédiction qu’il répandait sur ceux des patriarches. » La statistique nous enseigne que le peuple canadien-français est celui qui fournit le plus de centenaires.

Pareille vitalité ne peut exister que chez des individus physiquement parfaits.

Un écrivain qui porte un nom retentissant, M. Duvergier de Hauranne, a classifié les deux races qui habitent le Canada. Sa méthode est neuve : Petits hommes, amaigris, souffreteux, noirs — Canadiens ; beaux garçons, grands, replets, vigoureux, teint animé — Anglais.

Liseurs de romans, nourris d’idées en l’air, les sept-huitièmes des touristes qui nous entrevoient ne prennent pas la peine de nous tâter le poulx. On leur opposerait tous les fiers-à-bras célébrés par M. Montpetit qu’ils persisteraient encore à méconnaître les nerfs et les muscles des Canadiens !

La mère de l’Incarnation disait, il y a juste deux cents ans : « Cela est étonnant de voir le grand nombre d’enfants, très-beaux et bien faits, sans aucune difformité corporelle. » M. Aubert de la Chesnaie, quelques années plus tard, s’exprimait ainsi : « Les Français du Canada sont de corps bien faits, agiles, vigoureux, jouissant d’une parfaite santé, capables de soutenir toutes sortes de fatigues, et belliqueux ; ce qui a fait que les armateurs français, pendant la dernière guerre, ont toujours donné le quart de plus de paie aux Français-canadiens qu’aux Français de l’Europe. Toutes ces avantageuses qualités corporelles, dans les Canadiens-français, viennent de ce qu’ils sont nés dans un pays d’un bon air, nourris de bonne nourriture et abondante ; qu’ils ont la liberté de s’exercer, dès l’enfance, à la pêche, à la chasse et dans les voyages en canot, où il y a beaucoup d’exercice. » Vers le même temps, Bacqueville de la Potherie disait la même chose.