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histoire des canadiens-français

la rivière des Prairies, près la ville actuelle de Montréal, la première messe dite au Canada depuis les temps de Cartier et Roberval.

Naturellement, les premiers colons du Canada emportèrent avec eux la coutume de fêter la Saint-Jean. Les allures mondaines de cette démonstration ne durent pas inspirer au clergé la croyance que saint Jean-Baptiste serait jamais un patron « religieux » pour ce pays. Il devait être bien difficile, en effet, de métamorphoser en solennité de l’église une fête marquée depuis des siècles par les bruyants et peu scrupuleux ébats de la foule. En conséquence, on plaça le pays sous le vocable d’un patron moins suspect. M. Ferland, s’appuyant sur l’ouvrage du frère Le Clercq, intitulé : L’établissement de la Foi dans le Nouveau-Monde, dit : « L’année 1624 fut marquée, à Québec, par une solennité religieuse, à laquelle assistèrent tous les Français et plusieurs sauvages. Elle fut célébrée en exécution d’un vœu fait en l’honneur de saint Joseph, qui, dans cette occasion, fut choisi comme premier patron de la Nouvelle-France. Depuis ce temps, la dévotion envers saint Joseph s’est toujours conservée vive et efficace parmi les Canadiens, ainsi que l’attestent les nombreuses églises placées sous sa protection et les confréries établies en son honneur. » Nous supposons que, dans la pensée de ses fondateurs, la Saint-Joseph devait finir par supplanter la Saint-Jean. En tous cas, pendant quelques années, on s’efforça de lui faire prendre, en dehors de l’église, un caractère populaire rivalisant avec la vieille fête du feu.

Depuis l’origine de la colonie, nous avons eu notre fête patronale, la Saint-Joseph, et notre fête nationale, la Saint-Jean-Baptiste. Cette dernière avait pour elle, outre son ancienneté, l’avantage de tomber l’un des jours du solstice d’été, tandis que le 19 mars, époque de la fonte des neiges, des giboulées et très souvent du carême, n’a rien de comparable aux splendeurs du 24 juin.

Il nous a paru curieux de relever les passages suivants qui concernent la célébration de ces deux fêtes dans les premières années de la colonie :

1636. « Un sauvage, voyant la solennité qu’on fait la veille de la Saint-Jean, croyait qu’on faisait cette fête pour chasser le manitou, et disait que nous entendions bien mieux l’éloigner et le bannir de nous, que non pas eux ; c’est pourquoi nous vivions plus longtemps. Cela me confirme dans l’opinion que j’ai qu’ils font leurs tintamarres et battent leurs tambours pour chasser le diable, afin qu’il ne tue point les malades. Je crains que, l’un de ces jours, ils ne nous viennent prier de tirer nos canons pour les guérir. » — (Le père LeJeune.) La Relation de 1637 décrit longuement le feu d’artifice et toute la fête qui eut lieu cette année, à Québec, à l’occasion de la Saint-Joseph. Un croquis fort curieux accompagne le récit.

1646. « Le 18 mars, veille de saint Joseph, entre sept et huit heures du soir, se fit le feu de joie de la Saint-Joseph. Monsieur le gouverneur (M. de Montmagny) nous vint quérir ; nous soupions. Le père Vimont y alla, qui fit mes excuses (ceci est écrit par le père Jérôme Lalemant, supérieur) sur quelque incommodité que j’avais. M. le gouverneur mit le feu ; les soldats firent trois salues, et quatre coups de canon furent tirés ; il y eut aussi quelque fusée. Le 19, quand on sonna l’angelus, on tira un coup de canon, et à la messe à l’élévation trois