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droit qu’avait M. de Maisonneuve d’agir comme gouverneur de Montréal, vu l’arrêt de 1648 qui limitait la durée de cette charge à trois années. Une lettre de cachet, datée du 8 avril 1653, dont M. de Maisonneuve s’était muni, coupa court à la contestation ; mais alors, le gouverneur-général, prétextant que les secours devaient être répartis autant à Québec qu’à Villemarie, réclama une proportion des hommes qui venaient d’arriver. S’appuyant de nouveau sur la lettre du roi qui le rendait libre à cet égard, M. de Maisonneuve refusa. Lorsqu’il fallut partir pour remonter le fleuve, les barques se trouvèrent à manquer. Enfin, le 16 novembre, une centaine d’hommes étaient rendus à Montréal.

M. de Lauson, qui, plus que tout autre, savait jusqu’à quel point les Cent-Associés avaient oublié leur devoir, se montrait mécontent des secours envoyés à Montréal. Il craignait, sans doute, que la traite ne tombât entre les mains de ceux qui n’étaient pas absolument sous son contrôle. La colonie pouvait dépérir, pourvu que les Cent-Associés en retirassent quelques bénéfices. L’intendant Bigot (1755-59) n’agissait pas autrement.

Du reste, la situation du Canada était affreuse. « Jamais il n’y eut plus de castors dans nos lacs et dans nos rivières, écrivait, cette année, le père Le Mercier, mais jamais il ne s’en est moins vu dans les magasins du pays. Avant la désolation des Hurons, les cents canots venaient en traite tous chargés de castors. Les Algonquins en apportaient de tous côtés, et, chaque année, on en avait pour deux cent et pour trois cent mille livres. C’était là un bon revenu, de quoi contenter tout le monde et de quoi supporter les grandes charges du pays. La guerre des Iroquois a fait tarir toutes ces sources… le magasin de Montréal n’a pas acheté des sauvages un seul castor depuis un an. Aux Trois-Rivières, le peu qui s’y est vu a été employé pour fortifier la place, où on attend l’ennemi. Dans le magasin de Québec, ce n’est que pauvreté. Et ainsi, tout le monde a sujet d’être mécontent, n’y ayant pas de quoi fournir au paiement de ceux à qui il est dû, et même n’y ayant pas de quoi supporter une partie des charges du pays les plus indispensables. » De son côté, la mère de l’Incarnation disait, le 12 août : « Il vient du secours de France (M. de Maisonneuve et sa troupe), ce qui console tout le pays, car c’eût été une chose déplorable s’il eût fallu venir à cette extrémité que de quitter (retourner en France). Plus de deux mille Français qui l’habitent et qui ont fait de grandes dépenses pour s’y établir, n’ayant point de bien ailleurs, eussent été misérables. Et de plus, les sauvages (alliés des Français) n’ayant pas assez de force pour résister aux Iroquois, ils eussent été en des hasards continuels de perdre la vie et peut-être la foi. Mais enfin, nous attendons le secours que M. de Maisonneuve, gouverneur de Montréal, amène de France, où il est allé exprès. »

En ce moment, les Iroquois préparaient une ruse de guerre digne de leur génie. Elle consistait à offrir la paix, qui ne pouvait manquer d’être acceptée, et, par ce moyen, se rapprocher des Hurons, afin de les détacher des Français et s’en faire des alliés contre la colonie. M. de Lauson leur prêta l’oreille, ne pouvant faire autrement, et, presque aussitôt, les jésuites consentirent à envoyer des missionnaires dans les cantons. En dessous, la bourgade huronne de l’île d’Orléans s’entendait avec les délégués iroquois Onnontagués descendus à Québec.