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avaient été annoncés par trois canots qui apportaient des nouvelles des Hurons réfugiés chez eux, et qui disaient que, l’été suivant, des sauvages de quatre nations du lac Michigan descendraient à la traite. Cette promesse s’accomplissait. Les Français répondirent à leur attente. Le 6 août (1654), date du départ des Outaouais, deux « voyageurs, » dont malheureusement les noms ne nous sont pas fournis, se joignirent à eux et firent ainsi un trajet de cinq cents lieues avant d’arriver aux cantons de leurs nouveaux amis. La série des grands voyages au nord-ouest commence de cette manière. Sur la fin du mois d’août 1656, deux cent cinquante Outaouais ramenèrent ces deux explorateurs. Trente Français s’embarquèrent aussitôt, à Québec, pour aller commercer dans l’ouest ; mais on leur donna avis que les Iroquois gardaient le fleuve, et en effet, avant de toucher aux Trois-Rivières, ils eurent connaissance d’une embuscade, qu’ils évitèrent. Aux Trois-Rivières, les Français changèrent de résolution, sauf trois qui continuèrent leur route avec les pères Garreau et Druillètes et le frère Le Boëme. Les Iroquois qui guettaient la flottille réussirent à la dépasser et lui dressèrent une embuscade dans laquelle elle tomba ; le père Garreau mourut d’un coup de feu, les Outaouais se dispersèrent et les Français durent renoncer à l’entreprise de l’ouest. Voyant les Outaouais se rapprocher de la colonie française, les Iroquois n’hésitaient pas à les envelopper dans le plan de destruction qu’ils avaient conçu et qu’ils exécutaient si aisément, grâce à l’inaction du gouvernement français.

À quel point de vue ces choses étaient-elles envisagées en France ? Voici : la cour ne s’en occupait nullement ; les Cent-Associés, ayant le privilège de la traite de Miscou, de plus une rente d’un millier de castors payée par les Habitants, et de plus la propriété foncière de tout le Canada, avec l’avantage de nommer les gouverneurs de cette colonie, ne se donnaient pas la peine de songer à nous ; les personnes charitables qui versaient au fonds des jésuites pleuraient les souffrances et la mort de ces pères lorsqu’il arrivait malheur à ceux-ci — mais les Habitants ne comptaient pour rien ; et cependant les Habitants composaient la seule colonie sérieuse. « Le plus grand mal qu’ait fait la guerre des Iroquois, dit la Relation de 1653, c’est d’avoir exterminé nos églises naissantes, désolant le pays des Hurons, dépeuplant les nations algonquines, faisant mourir cruellement et les pasteurs et le troupeau, et empêchant qu’on ne passât plus outre aux nations éloignées, pour en faire un peuple chrétien. » Le plus grand mal qu’ait fait la guerre des Iroquois, c’est d’avoir mis sous le couteau et dans les flammes des bûchers des colons que la France avait le devoir de protéger et qu’elle a abandonnés à la merci d’une horde de barbares. Avec le système de ne faire de l’histoire que pour les missions des jésuites, on arrive à ne plus savoir ce que l’on dit.

Déterminés à se jouer des Français comme ils se jouaient des Hurons, les Iroquois feignaient de désirer des missionnaires. On se laissa prendre à ce piège plus que grossier. La Relation de 1654 nous dit : « L’entreprise d’aller, dès le printemps prochain, porter une mission dans le cœur des nations iroquoises nous oblige à demander à votre Révérence le secours de six de nos Pères, car nous sommes trop peu. M. de Lauson, notre gouverneur, fait état d’y envoyer un nombre de Français choisis, pour y commencer une nouvelle