Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome III, 1882.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
histoire des canadiens-français

voir l’île de Terreneuve, où est Plaisance, les îles Saint-Pierre, le cap de Raye, l’île Saint-Paul et les autres terres de l’entrée du golfe, tout cela donne plus d’effroi et d’envie de s’en éloigner que le désir d’y vouloir habiter ; c’est pourquoi je ne m’étonne pas si ce pays a demeuré si longtemps sans être habité. Je trouve, après tout considéré, qu’il ne lui manque que des habitants. C’est la raison qui m’a obligé à faire ce petit traité, pour informer avec vérité tous ceux qui auraient de l’inclination pour le pays de la Nouvelle-France et qui auraient quelque volonté de s’y venir habiter, et pour ôter la mauvaise opinion que le vulgaire en a ; et que mal à propos on menace d’envoyer les garnements[1] en Canada, comme par punition ; vous assurant que, tout au contraire, il y a peu de personnes de ceux qui y sont venus, qui aient aucun dessein de retourner en France, si des affaires de grande importance ne les y appellent ; et je vous dirai sans déguisement que, pendant mon séjour à Paris et ailleurs, l’année précédente, j’ai fait rencontre de plusieurs personnes assez à leur aise, qui avaient été par ci-devant habitants de notre Canada, et qui s’en étaient retirés à cause de la guerre[2] ; lesquels m’ont assuré qu’ils étaient dans une grande impatience d’y revenir : tant il est vrai que la Nouvelle-France a quelque chose d’attrayant pour ceux qui en savent goûter les douceurs… Québec est donc la principale habitation où réside le gouverneur-général de tout le pays ; il y a une bonne forteresse et une bonne garnison[3], comme aussi une belle église qui sert de paroisse, et qui est comme la cathédrale de tout le pays. Le service s’y fait avec les mêmes cérémonies que dans les meilleures paroisses de France ; c’est aussi dans ce lieu que réside l’évêque. Il y a un collège de jésuites, un monastère d’ursulines qui instruisent toutes les petites filles, ce qui fait beaucoup de bien au pays ; aussi bien que le collège des jésuites pour l’instruction[4] de toute la jeunesse dans ce pays naissant. Il y a pareillement un couvent d’hospitalières qui est un grand soulagement pour les pauvres malades. C’est dommage qu’elles n’ont davantage de revenu… Pour la justice, elle se rend ici ; il y a des juges : et quand on ne se trouve content, on en appelle devant le gouverneur et un conseil souverain établi par le roi à Québec. Jusques à cette heure, on a vécu assez doucement, parce que Dieu nous a fait la grâce d’avoir toujours des gouverneurs qui ont été des gens de bien, et d’ailleurs nous avons ici les pères jésuites qui prennent un grand soin d’instruire le monde ; de sorte que tout y va paisiblement : on y vit beaucoup dans la crainte de Dieu, et il ne s’y passe rien de scandaleux qu’on n’y apporte aussitôt remède : la dévotion est grande en tout le pays. » Le père Vimont disait dans la Relation de 1641 : « Les hommes de travail arrivent ordinairement ici le corps et la dent bien sains, et si leur âme a quelque maladie, elle ne tarde guère à recouvrer une bonne santé. L’air de la Nouvelle-France est très sain pour l’âme et pour le corps. On nous a dit qu’il courait un bruit dans Paris qu’on avait mené au Canada un vaisseau tout chargé de filles dont la vertu n’avait l’approbation d’aucun docteur ; c’est un

  1. Dans un autre endroit, il dit qu’on « sait aussi bien les pendre ici qu’ailleurs. »
  2. Au lieu d’augmenter, la colonie diminuait.
  3. Il est difficile de s’expliquer de pareilles assertions, même à la date 1663 ; car le pays était encore à ce moment sous les coups des Iroquois, et les renforts de France commençaient à peine à nous arriver.
  4. Instruction religieuse ; car les jésuites avaient à peine songé à ouvrir des classes pour les fils d’habitants.