Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome IV, 1882.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

femmes, entre autres cinquante d’une maison de charité de Paris, où elles ont été très bien instruites. Aussi cent cinquante hommes de travail, tous en bonne santé. » (Journal des Jésuites, 2 octobre 1665.)

Colbert écrivait, le 5 avril 1666 : « Le roi est satisfait de voir que le plus grand nombre des soldats… sont disposés à s’établir dans ce pays au moyen de quelque aide supplémentaire qu’on leur donnerait à fin de cet établissement… Cela paraît si important à Sa Majesté, qu’elle désirerait les voir tous rester au Canada. »

Les années 1666-1667 amenèrent plus de six cents émigrants, dont quarante familles destinées aux villages de M. Talon. Les anciens et nouveaux concessionnaires de seigneuries firent venir des colons et des engagés. Plus de deux cents jeunes filles arrivèrent de Paris. Enfin un total de six cents âmes pour ces deux années.

« Il est venu cette année, écrivait la mère de l’Incarnation (18 octobre 1667), quatre-vingt-douze filles de France, qui sont déjà mariées, pour la plupart, à des soldats et à des gens de travail, à qui l’on donne une habitation et des vivres pour huit mois, afin qu’ils puissent défricher des terres pour s’entretenir. Il est venu aussi un grand nombre d’hommes aux dépens du roi, qui veut que ce pays se peuple. Sa Majesté a encore envoyé des chevaux[1], cavales, chèvres, moutons, afin de pourvoir le pays de bestiaux et d’animaux domestiques… On dit que les troupes s’en retourneront l’an prochain, mais il y a apparence que la plus grande partie restera ici, comme habitants, y trouvant des terres qu’ils n’auraient peut-être pas dans leur pays. »

Talon, de son côté, écrivait au ministre une lettre dont voici le résumé : « On nous a envoyé de Dieppe quatre-vingt-quatre jeunes filles et vingt-cinq de la Rochelle. Il y en a quinze ou vingt d’assez bonnes familles ; plusieurs sont de véritables demoiselles et passablement bien élevées. Elles se plaignent de la fatigue du voyage et du manque de soin. Je ferai mon possible pour leur donner satisfaction, car si elles écrivent à leurs protecteurs en France qu’elles n’ont pas été bien traitées, cela peut mettre obstacle à votre projet de nous envoyer, l’an prochain (1668), un bon nombre de jeunes personnes choisies. » Il ajoute : « À mesure que le Canada recevra des accroissements, il pourra, par ses peuples naturellement guerriers et disposés à toutes sortes de fatigues, soutenir la partie française de l’Amérique méridionale, si l’ancienne France se trouvait hors d’état de le faire, et cela d’autant plus aisément qu’il aura lui-même des vaisseaux. Ce n’est pas tout : si son commerce et sa population augmentent, il tirera de la mère-patrie tout ce qui pourra lui manquer, et, par ses importations du royaume, il contribuera à l’accroissement du revenu du roi, et accommodera les producteurs français en achetant le surplus de leurs marchandises. Au contraire, si la Nouvelle-France n’est pas soutenue, elle tombera entre les mains des Anglais, ou des Hollandais ou des Suédois ; et l’avantage que l’on perdra en perdant cette colonie, n’est pas si peu considérable que la compagnie ne doive convenir que, cette année, il passe de la nouvelle en l’ancienne France

  1. Voir Faillon : Hist. de la Colon. III, 222. Le présent ouvrage IV, 46,