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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le recensement de 1673 donne six mille sept cent cinq âmes, chiffre qui étonna Louis XIV et même Colbert, assure-t-on. Le ministre écrivit à l’intendant, le 17 mai 1674 : « Votre principal soin doit être d’accroître la population du pays, Sa Majesté a donc été très surprise de voir qu’il n’y a encore que six mille sept cent cinq habitants dans tout le Canada ; elle pense qu’il y a erreur dans ces rapports, car le pays contenait, il y a dix ans, plus de monde qu’aujourd’hui. Voyez ces rapports avec soin, pour qu’on sache le chiffre exact des habitants. » L’expression « il y a dix ans », nous reporte à 1663, époque où la population du pays était de deux mille cinq cents âmes, et non pas sept ou huit mille comme la dépêche le donne à entendre ici.

Si l’on examine attentivement l’histoire de notre pays, de Champlain jusqu’à la conquête, espace de cent cinquante ans, on reste surpris du peu de secours fournis par la France. En écartant les périodes de guerres, où le souverain tournait forcément les yeux vers nous, et cela pour notre malheur, il n’y a que l’époque de Colbert (1662-1682) qui marque à l’avantage du Canada — et encore faut-il réduire à neuf ou dix années (1664-1672) les opérations dirigées ici par ce grand homme. Après avoir supprimé les Cent-Associés nous avoir envoyé des troupes, organisé la justice, préparé des envois de colons, surveillé le choix des officiers et même des soldats destinés à être licenciés, pris des mesures pour que le travail des champs fût le premier encouragé, il songea aux mines, aux pêcheries, à l’exploitation des forêts et voulut établir des manufactures susceptibles d’utiliser les produits naturels du pays. Portant ses vues plus loin, il invita les découvreurs à visiter le Mississippi et les terres dont la renommée s’était déjà répandue parmi nous. Sans la guerre de Hollande, la colonie, petite et misérable hier, se serait trouvée grande et prospère le surlendemain. Cependant, tel est le privilège du génie que l’impulsion donnée par Colbert s’est fait sentir après 1673 tant qu’il a vécu lui-même, et longtemps après sa mort.

L’intendant Talon est peut-être l’homme de tous temps qui a le mieux compris le Canada et les Canadiens. Colbert, agissant comme ministre, appuyait et donnait vie aux projets de Talon ; ces deux hommes se complétaient l’un par l’autre. Ils étaient de ceux que Louis XIV sut placer dans ses conseils pour relever la France et la porter au premier rang des nations. Le même sentiment inspira au roi de faire étudier la situation de la colonie canadienne par un expert en ces matières, au lieu de s’en tenir aux lettres et aux cabales des partis qui se disputaient cette malheureuse contrée. Déjà les rapports de M. d’Avaugour avaient produit le bon effet de décider le roi à nous envoyer des troupes et abolir les Cent-Associés, mais Talon fit en quelque sorte table rase du vieux système ; il balaya tous ceux qui gouvernaient par la ruse et sous de faux prétextes ; il prêta l’oreille aux plaintes des habitants — ce qui n’est pas peu dire à sa louange. La colonie, qu’il voulait voir équilibrée, l’était devenue effectivement lorsqu’il repassa en France. Fondée sur l’agriculture, elle pouvait subsister par elle-même ; l’ordre moral y était parfait et les consciences tranquillisées depuis l’éloignement des jésuites de la plupart des situations qu’ils occupaient dans le bas Canada. Les enfants des premiers colons se mariaient. L’intendant, tout à l’espoir d’un avenir digne