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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Père Germain Allart[1] depuis évêque de Vences) que je serais surpris d’y trouver d’aussi honnêtes gens que j’en trouverais ; qu’il ne connaissait point de provinces du royaume où il y eût, à proportion et communément, plus de fond d’esprit, de pénétration, de politesse, de luxe même dans les ajustements, un peu d’ambition, désir de paraître, de courage, d’intrépidité, de libéralité et de génie pour les grandes choses. Il nous assurait que nous y trouverions même un langage plus poli, une énonciation nette et pure, une prononciation sans accent. J’avais peine à concevoir qu’une peuplade formée de personnes de toutes les provinces de France, de mœurs, de nations[2], de conditions, d’intérêts, de génie si différents et d’une manière de vie, coutumes, éducation si contraires, fût aussi accomplie qu’on me la représentait. Je sais qu’on est principalement redevable aux personnes qui s’y sont habituées depuis 1663, mais il est vrai que, lorsque je fus sur les lieux, je connus qu’on ne m’avait rien flatté — la Nouvelle-France étant en cela plus heureuse que les pays nouvellement établis dans les autres plages du monde… Les Canadiens sont pleins de feu et d’esprit, de capacité et d’inclination pour les arts, quoiqu’on se pique peu de leur inspirer l’application aux lettres[3], à moins qu’on ne les destine à l’Église…[4] « Le nombre des cures fixes avait été indéterminé, mais il a été réglé jusqu’à trente-six capables d’entretenir un pasteur avec le secours des dîmes, qui sont régulièrement payées — la libéralité du roi fournissant le surplus. Le droit de nommer à ces cures est partagé : le supérieur du séminaire a droit de nommer à celle de Québec et à cinq ou six autres ; le supérieur du séminaire de Montréal a le même droit pour la cure de Villemarie et cinq autres qui se trouvent dans l’île. Les révérends pères jésuites sont aussi curés primitifs de deux ou trois. Le droit de nommer au reste des cures, aussi bien qu’aux canonicats de la cathédrale, appartient à l’évêque. Outre ces cures dont nous venons de parler, il y a encore plusieurs autres endroits habités en forme de villages qui, n’étant pas suffisants pour entretenir un curé, sont desservis par manière de missions, et fournissent à la nourriture du missionnaire, étant joints deux ou trois ensemble qui payent régulièrement les dîmes. »

Le baron de La Hontan, qu’il faut lire avec prudence tant il a écrit parfois à la légère, traçait les lignes suivantes, datées de la côte de Beaupré, au printemps de 1684. Ses observations sont données ici pour ce qu’elles valent : « Les paysans du Canada sont fort à leur aise. Je souhaiterais une aussi bonne cuisine à toute notre noblesse délabrée de France. Que dis-je ! Paysans ? Amende honorable à ces messieurs. Ce nom-là, pris dans la signification ordinaire, mettrait nos Canadiens aux champs. Un Espagnol, si on l’appelait villageois ne froncerait pas plus le sourcil, ne relèverait pas plus fièrement sa moustache. Ces gens-ci n’ont pas tout le tort après tout ; ils ne payent ni sel, ni paille ; ils chassent et pêchent librement ; en un mot, ils sont riches. Voudriez-vous donc les mettre en parallèle avec nos gueux de paysans ? Combien de nobles et de gentilshommes jetteraient à ce prix-là les vieux par-

  1. Il était venu en Canada l’année 1670.
  2. La France, alors comme aujourd’hui, renfermait plus d’une nation.
  3. Cela a duré longtemps !
  4. Même chose aujourd’hui.