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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

« Nous ne pourrons, cette année, lever plus de quatre cents miliciens, sous peine de ruiner le pays[1] ; or, vous saurez que je ne puis me dispenser d’amener la milice, lors même que vous m’enverriez toutes les troupes que je demande, parce qu’elle est infiniment plus propre à ce genre de guerre. C’est pourquoi j’ai formé une compagnie de cent vingt hommes, sous les ordres de M. de Vaudreuil, et de quatre bons lieutenants natifs du pays. Ils coûteront six sols par jour. » À partir de cette époque, observe M. Rameau, on peut dire que la milice canadienne a constitué une partie essentielle, et quelque fois la partie capitale des forces dont le gouvernement français disposa dans l’Amérique du nord, jusques et y compris la glorieuse et terrible lutte de 1755-60.

M. de Callières, gouverneur de Montréal, s’était rendu compte de la situation du Canada. Il soumit à la cour un plan hardi, rien moins que la conquête de la Nouvelle-Angleterre. Avec deux mille hommes que l’on avait sous la main, (seize cents soldats et quatre cents miliciens) il voulait traverser en bateaux le lac Champlain, puis descendre l’Hudson, surprendre et ruiner Albany et New-York et nous débarrasser à la fois des Anglais et des Iroquois, car ceux-ci, privés du secours de leurs voisins, seraient rentrés dans une politique mesurée ou se seraient soumis sans résistance. Ce projet rappelait la proposition faite un quart de siècle auparavant par M. d’Avaugour. Si l’on songe aux coups de mains si fréquemment répétés des milices canadiennes contre les principales villes des colonies anglaises, durant les cinquante années qui suivirent 1688, il n’y a rien qui surprenne dans le projet de M. de Callières. Aussi, le ministère ne le désapprouva-t-il point — mais il voulut délibérer, surtout à cause de la dépense. Il fallait soixante et quinze mille livres et six cents soldats de renforts pour occuper le Bas-Canada. Louis XIV s’engageait (1688) dans une lutte contre l’Angleterre, qui venait de chasser les Stuarts ; le moment semblait bien choisi pour agir ; cependant sa principale attention se portait vers l’Europe ; l’Amérique ne lui inspirait qu’un intérêt passager. Une douzaine d’années plus tard, d’Iberville, à l’apogée de sa gloire, devait reprendre ce plan, le faire accepter — et il l’eût exécuté sans la mort qui le surprit dans sa marche sur New-York.

En 1688, sir Edmund Andros fut nommé au gouvernement de la Nouvelle-York en remplacement de Dongan. Sur ces entrefaits, M. de Callières passa en France et persuada au roi que le moment d’agir était venu. La campagne de 1687 contre les Iroquois avait mis en défaveur M. de Denonville ; un nouveau gouverneur, homme de talent et de résolution, devenait nécessaire ; on jeta les yeux sur M. de Frontenac.

Selon M. de Callières, Albany n’était défendu que par une enceinte de pieux non terrassée et un petit fort à quatre bastions, avec une garnison de cent cinquante soldats ; les habitants ne dépassaient pas trois cents. New-York renfermait quatre cents habitants, divisés en huit compagnies de milices ; le fort était en pierre et portait du canon. La Nouvelle-France ne pouvait sous ce rapport se comparer à sa rivale.

  1. Autant de bras enlevés à l’agriculture. Quatre cents hommes sous les armes, c’était plus, proportion gardée, que nous en avons appelé sous les drapeaux en 1812-15.