Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome V, 1882.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

dénonce les jésuites qu’il accuse d’abuser du confessionnal, de s’introduire dans les familles pour en connaître les secrets et les faiblesses[1] et il signale à la rigueur du ministre un de ces pères qui avait prêché contre la permission que le conseil supérieur donnait à tous les Français de vendre de l’eau-de-vie aux Sauvages. « J’ai été tenté plusieurs fois, dit-il, de laisser l’église avec mes gardes, d’interrompre le sermon ; mais je me suis contenté d’en parler au grand-vicaire et au supérieur des jésuites quand tout fut fini. » Cela n’exonère point le conseil d’avoir rendu libre la traite des boissons enivrantes, mais on voit la situation des esprits. Frontenac ajoute, parlant des jésuites : « Après avoir eu tant de peine à leur ôter la connaissance et la direction des affaires, serait-il à propos de leur fermer une porte pour les laisser entrer par une autre ? D’ailleurs, les prêtres du séminaire de Québec et le grand-vicaire de l’évêque (Mgr de Laval était en France) sont dans leur dépendance ; il ne font pas la moindre chose sans leur ordre ; ce qui fait que indirectement ils sont les maîtres de ce qui regarde le spirituel, qui, comme vous le savez, est une grande machine pour mener tout le reste. » Dans une autre dépêche, le gouverneur va jusqu’à dire que les jésuites s’occupaient tout autant de la conversion du castor que de celle des âmes et que la plupart de leurs missions étaient de « pures moqueries ».

Les Français qui traitaient, soit légalement, soit d’une manière détournée, et qui accusaient les jésuites de leur faire concurrence ne sauraient être crus à la lettre, vu que des intérêts d’argent étaient en jeu, mais ces longs débats attestent de l’existence de quelque chose d’illicite et lorsque l’on considère ce qui s’est passé dans d’autres colonies au sujet des religieux du même ordre, il faut en arriver à la conclusion que toute cette affaire est louche pour le moins.

De 1632 à 1644, il est certain que les jésuites, sous le régime dont ils étaient les principaux supports, tenaient des Cent-Associés un privilége de traite[2]. La compagnie dite des Habitants leur continua cette faveur, pour leur aider à subsister. Cela est étrange lorsque l’on songe que les récollets s’étaient vu refuser la permission de revenir au Canada à cause de leur pauvreté et lorsque les colons ne cessaient de solliciter le retour de ces mêmes récollets qu’ils étaient parfaitement en état de nourrir, on le sait. En 1647, MM. de Montmagny et d’Ailleboust certifient que « les pères jésuites sont innocents de la calomnie qui leur a été imputée (à l’égard de la traite) et que ce qu’ils en ont fait a été pour le bien de la communauté et pour un bon sujet. » Curieux raisonnement ! M. de Lauson, amené ici comme gouverneur par l’influence des jésuites (1651), fit accorder à ceux-ci des lettres-patentes portant qu’une pension annuelle de cinq mille livres leur serait payée à l’avenir sur les revenus du pays. Plus tard, les Cent-Associés étant abolis, les ordonnances royales et une bulle du pape défendirent expressément toute sorte de trafic aux ecclésiastiques. Les prêtres de Saint-Sulpice s’abstenaient de commerce. En 1664, les jésuites déclarèrent devant

  1. À part cette lettre de Frontenac, voir l’exposé de La Salle : Société Historique de Montréal, 6e livraison, p. 68.
  2. Relation, 1636, p. 49-51. Journal des Jésuites, p. 13.