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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

part de l’intendant. Il est curieux de lire aujourd’hui ces dépêches, écrites de Québec, par les deux premiers fonctionnaires de la colonie se plaignant l’un de l’autre et qu’ils se gardaient bien de se communiquer, naturellement. On y distingue de suite deux caractères difficiles et que leur position rendait encore plus opposés.

La plaie des coureurs de bois excite surtout l’indignation de Duchesneau. Il est juste de le féliciter de ses efforts de ce côté. Dans cette lutte, La Salle, Du Luth, Masson, La Taupine, dévoués à Frontenac, sont l’objet de ses constantes attaques.

Daniel Greysolon du Luth ou Dulude, natif de Saint-Germain-en-Laye, était beau-frère de Laporte de Louvigny et cousin de Tonty. Son frère, Greysolon de la Tourette, établit un poste au nord du lac Supérieur. Du Luth était venu au Canada avant 1674, mais retourné en France, il avait suivi l’armée en Belgique et pris part à la bataille de Senef où il rencontra le père Hennepin, aumônier des troupes. On le retrouve aux Trois-Rivières[1], le 26 novembre 1676, parrain de Marie Roussel, et à Montréal en 1678 d’où il partit, le 1er septembre, avec sept hommes pour explorer le pays des Sioux.

Passé en France (1677) sur l’avis de Frontenac, tant pour obtenir la concession du lac Érié que les moyens d’exploiter le Mississipi jusqu’à la mer, Cavelier de La Salle, appuyé par le prince de Conti, avait reçu du roi des lettres-patentes (12 mai 1678) et était débarqué à Québec, le 15 septembre, en compagnie du sieur de Tonty, avec environ trente hommes, pilotes, matelots, charpentier et autres ouvriers, ainsi que les choses nécessaires à ses entreprises. Quelques Canadiens se joignirent à lui. Il envoya tout son monde en avant au fort de Frontenac, où étaient les pères Gabriel de la Ribourde et Luc Buisset, récollets, et où se rendirent en même temps les pères Louis Hennepin, Zénobe Membré et Melithon Vatteaux, aussi récollets. Les religieux de cet ordre tendaient, comme avant eux les jésuites, à s’avancer vers l’ouest, « et, dit le père Le Clercq, le sieur du Luth, homme d’esprit et d’expérience, fit jour aux missionnaires et à L’Évangile dans plusieurs nations différentes. »

Laurent de Tonty, d’une famille italienne, inventeur des assurances sur la vie qui portent son nom, avait pour un motif resté inconnu, été enfermé à la Bastille de 1669 à 1677. L’un de ses fils, Alphonse, fut en 1717, commandant au Détroit. Son autre fils, Henri, s’était enrôlé dans la marine en 1668 et servait avec honneur au moment où le prince de Conti le recommanda à La Salle comme son lieutenant. Delietto qui commanda aux Illinois était son parent.

Aussitôt arrivé au fort Frontenac, l’automne de 1678, La Salle envoya quinze hommes, avec sept ou huit mille livres de marchandises, pour faire la traite et lui frayer la route du Mississipi par la baie Verte et les Illinois. Le 18 novembre, Henry de Tonty, le père Hennepin, le capitaine Pierre de Saint-Paul sieur de la Mothe-Lussière, et seize hommes partirent de Frontenac et entrèrent, le 6 décembre, dans la rivière Niagara ; le 11, Tonty fixa son choix sur un terrain situé non loin du débouché du canal Érié aujourd’hui, et se mit à l’œuvre pour y élever un fort qu’il baptisa du nom de Conti. Comme les Iroquois

  1. Un nommé Joseph Louis dit Dulude figure au recensement de 1666, (voir le présent ouvrage, IV, 63).