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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

la colonie, qui ne voulait pas trop montrer son désir de méconnaître la langue française garantie par les traités. C’est du moins ce qui semble véritable. On vit paraître, en 1788, le Quebec Herald dont l’existence fut de courte durée. La même année, Fleury Mesplet établit, à Montréal, la Gazette Littéraire. Nous n’entendons plus parler de Jotard. Depuis deux ans, le pays était de nouveau gouverné par Carleton qui nous respectait, et comme nous nous sentions à l’aise sous sa protection, un commencement de travail littéraire se manifestait de place en place. La Gazette de Mesplet venait à point servir les pionniers des lettres en Canada. Le mouvement littéraire s’accentuait avec des périodes d’acalmie et des élans de vigueur. Les premiers hommes de plume qui se montrèrent parmi nous furent aussi nos premiers journalistes. La littérature, la politique, le journalisme, trois arts qui débutaient en Canada, marchaient ainsi en se donnant la main, tombaient et se relevaient ensemble.

La presse, née de la discussion, c’est-à-dire de la liberté politique, commençait timidement à paraître du moment où un semblant de franchise nous était accordé. Il est intéressant de suivre ses vicissitudes à mesure que le pouvoir public serre la poigne ou se montre plus conciliant. Les phases les plus critiques de notre histoire parlementaire offrent des exemples curieux de cet état de chose. Avant d’arriver à l’époque où réellement les journaux prirent naissance pour ne plus disparaître (1830), soixante années de luttes avaient eu lieu pendant lesquelles des feuilles françaises de diverse valeur s’étaient montrées pour répondre aux besoins du temps — mais toutes étaient tombées sous les coups des gouverneurs qui redoutaient leur influence.

Après dix-huit mois d’existence la Gazette Littéraire fut supprimée, parce que ses tendances étaient évidemment à l’annexion du Canada aux États-Unis. Les chefs de cette entreprise, incapables de saisir le vrai point de vue de notre politique, ne voulaient que nous pousser dans les bras des voisins ; ils ne s’apercevaient pas que nous étions sortis de nourrice à la suppression du régime français.

Encore aujourd’hui, la surprise des Français et des Anglais de l’Europe est grande lorsqu’on leur dit que les Canadiens-Français ne veulent appartenir ni à la France ni à l’Angleterre ; ils ne comprennent pas qu’une population d’Amérique, si peu forte comme nombre, ait la prétention de se maintenir dans un état qui frise l’indépendance politique et administrative la plus large. C’est précisément là que nous voyons le beau côté de l’histoire de nos ancêtres, depuis les temps de Champlain jusqu’à l’année 1880 où nous entrons en ce moment. Les Canadiens-Français, voulant rester ce qu’ils étaient, ont eu le courage de s’exposer à la colère du conquérant de leur pays, et ils ont refusé toute alliance avec leur voisin, qui parlait de liberté, afin de conserver le précieux dépôt de la nationalité, lequel était pour le moins aussi exposé au milieu des Américains que parmi les Anglais.

Après 1784 plus de guerre, tout revint dans nos cercles instruits à la littérature. Le culte des vers se personnifia dans Joseph Quesnel. Tandis que Paris enlevait la Bastille au chant de la Carmagnole, les paisibles citoyens de Québec et de Montréal applaudissaient, au théâtre et au coin du feu, la verve du Petit Bonhomme.