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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

La charrue et la herse constituent tout l’outillage aratoire du paysan canadien, et encore ces instruments ne sont-ils pas de la meilleure qualité. Les roues du train des charrues sont aussi épaisses que celles d’un tombereau, et toute la charpente est si lourde qu’il faut la force d’un cheval pour tirer la machine sur un terrain uni. Les herses en usage ici sont faites entièrement de bois, et de forme triangulaire ; deux des côtés ont six pieds de long, le troisième en a quatre ; les dents, comme le reste de l’instrument, sont en bois, longueur d’environ cinq pouces, et distantes d’autant les unes des autres.

On laisse les chevaux dehors pendant l’hiver ; ils trouvent leur pâture dans les bois, n’ayant rien à brouter que des herbes sèches, qui, en revanche, sont très abondantes ; ils s’accommodent fort bien de cette pitance, et au printemps ils sont gras et pleins de santé. On se plaint généralement que le peuple de la campagne commence à en élever un si grand nombre[1] que les bestiaux manquent de fourrage en hiver. Un cheval de moyenne encolure coûte maintenant quarante francs.

En Canada, les bœufs tirent avec leurs cornes, mais dans les colonies anglaises, ils tirent par le garrot comme les chevaux. Les vaches, de la taille de notre vache de Suède, viennent de France. Le plus grand nombre ont des cornes ; j’en ai vu cependant qui en étaient dépourvues. Une vache sans cornes serait une curiosité inouïe en Pennsylvanie. Les vaches du Canada varient de couleur, mais la plupart sont rouges et noires. Elles se vendent cinquante francs, mais il y a des gens qui se rappellent le temps où l’on pouvait s’en procurer une pour dix écus. La chair des bœufs et des veaux engraissés à Québec est préférable à celle des animaux de boucherie élevés à Montréal ; elle est beaucoup plus grasse et plus savoureuse. Cette différence est attribuée aux prés salés du bas du fleuve.

Chaque habitant élève ordinairement quelques moutons qui lui fournissent toute la laine dont il a besoin pour se vêtir, mais les meilleures étoffes viennent de France. Le mouton importé ici dégénère, et sa progéniture encore plus que lui-même. Le manque de nourriture pendant l’hiver est, dit-on, cause de cette dégénérescence. Un mouton coûte cinq francs.

Il est admis que le bétail, né ici d’animaux importés d’Europe, n’en atteint jamais les proportions. Cette dégénération est attribuée à la rigueur des hivers canadiens, qui oblige le cultivateur de tenir ses bestiaux renfermés dans l’étable et pauvrement nourris.

Je n’ai pas vu de chèvres en Canada et on m’assure qu’il n’y en a pas. Dans les colonies anglaises, on n’en rencontre que dans les villes seulement, où on les garde pour certains malades qui boivent leur lait sur l’avis des médecins.

Six ou sept années après Kalm nous rencontrons le mémoire de Bougainville. En voici quelques pages :

Le Canada est très abondant en toutes sortes de bestiaux, de bœufs, cochons, veaux, comme en France ; le mouton, en général, moins bon, les perdrix admirables et en quantité, les lapins, on n’en voit point, les lièvres, mauvais, le poil leur blanchit en hiver et devient roux

  1. Dès 1709 une ordonnance défendit aux habitants de garder plus de deux chevaux et un poulain.